19 septembre 2012 3 19 /09 /septembre /2012 17:32

Conférence et discussion prononcée par Bernard Stiegler le 26 août 2011, dans le cadre de l'académie d'été d'Ars Industrialis: Un must de l'anticipation qui apporte une pharmacologie théorique très efficace !

  

 

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14 septembre 2012 5 14 /09 /septembre /2012 11:16
Des adolescents condamnés pour meurtre, des collégiens rackettés par leurs camarades, des agressions dans les trains, les métros, les autobus... La violence, même dans nos pays tranquilles, ne se laisse guère oublier !
  

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  Philosophe, André Comte-Sponville a notamment publié Le Bonheur, désespérément (Pleins Feux), L’Amour, la Solitude (Albin Michel) et Petit traité des grandes vertus (Livre de Poche).

 

 

L’horreur reste toujours possible. La paix, la sécurité, toujours fragiles. La douceur, toujours improbable...


L’homme est un loup pour l’homme, c’est par quoi il est pire que les loups. Aucune bête n’aime à tuer ses semblables. La guerre est le propre de l’homme. Pourquoi ? Parce que les hommes sont violents. Parce qu’ils sont rivaux. Parce qu’ils sont vaniteux.

 

Qu’est-ce que la violence ? C’est l’usage immodéré de la force.


La modération, comme toute vertu, est acquise. La violence est donc première : c’est la force native, la force brute et brutale. Qu’elle soit toujours déjà là, c’est ce que cache la faiblesse du nouveau-né. Mais regardez ses colères, ses cris, ses petits poings qui se crispent… Laissez-le grandir sans frein, sans amour, sans éducation, vous aurez un monstre parfait : la violence faite homme, l’homme abandonné à sa propre violence.

 

Pourquoi les hommes sont-ils violents ? Parce que ce sont des animaux, et que les animaux, presque tous, sont violents.


Parce que ce sont des mâles, et que les mâles, dans notre espèce comme dans beaucoup d’autres, sont plus violents que les femelles. Croyez-vous que ce soit par jeu qu’on castre les taureaux ? Je n’ignore pas que plusieurs faits divers récents mettaient en cause des jeunes filles… Mais j’y vois une exception, souvent pathologique, davantage qu’une règle. Qu’une femme puisse être violente, c’est une évidence. Mais qu’un homme puisse ne pas l’être, ce serait plutôt une surprise ou un mystère. Le moindre wagon de bidasses en dit long sur la masculinité, comme le moindre groupe de supporters… J’ai tort ? Très bien. Supprimez la police dans les stades, et voyons…

 

Mais les hommes ne sont pas seulement des animaux, ni des mâles. Ce sont aussi des rivaux...


...que leurs désirs rapprochent et opposent. Ils désirent tous les mêmes choses, qu’ils ne peuvent tous posséder, et ils les désirent d’autant plus que d’autres les désirent également ou en jouissent… Comment ne seraient-ils pas jaloux de ce qu’ils n’ont pas, ou craintifs pour ce qu’ils ont ? Que les jeunes de nos cités aient la haine, quand ils viennent sur les Champs-Elysées, quoi de plus compréhensible ? Tant de luxe, tant de tentations, tant d’injustices… Et que d’autres craignent pour leurs biens, quoi de plus humain ? La haine nourrit la peur, qui nourrit la haine. J’ai tort ? Très bien. Supprimez la police dans les rues, et voyons…

 

Les hommes sont aussi vaniteux.


Cela signifie qu’ils désirent être reconnus, estimés, admirés, et surtout qu’ils ne supportent ni le mépris ni la honte. Ils vivent dans le regard de l’autre, et pour ce regard. Combien tueraient, s’ils le pouvaient sans risque, pour une blessure d’amour-propre ? J’ai tort ? Très bien. Supprimez la police, les tribunaux, les prisons, et voyons…

 

La violence n’est ni un accident ni une dégénérescence. Elle est constitutive de l’animalité, de l’humanité, de la sociabilité.


Pas de société sans forces et sans rapports de forces, pas de société sans désirs, sans rivalités, sans vanités : pas de société sans violence.

 

Plutôt que de s’étonner que la violence existe, il faudrait plutôt s’étonner qu’elle fasse place, parfois, souvent, à de l’ordre, à de la paix, à de la tranquillité, à de la concorde.


Tous ces gens dans le métro qui se serrent pour vous laisser entrer, qui s’excusent quand ils vous bousculent, qui vous renseignent quand vous êtes perdus… La peur est l’exception. La haine est l’exception. Parce que l’amour domine ? Ne rêvons pas. Parce que la prudence domine. Parce que l’intelligence domine. Parce que la violence est contrôlée, maîtrisée, surmontée. Comment ? Par des signes, ce qui est politesse. Par des menaces, ce qui est police. Par un certain équilibre des forces et des intérêts, ce qui est politique. Enfin par certaines valeurs, certains interdits, certains exemples, ce qui est morale.

 

" L’Etat, disait Max Weber, a le monopole de la violence légitime. " Et l’individu, ajouterai-je, celui de la douceur nécessaire. C’est pourquoi nous avons besoin de policiers, et c’est pourquoi la police ne suffit pas.

 

www.psychologie.com

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12 septembre 2012 3 12 /09 /septembre /2012 11:17

Du fait de la mondialisation "mon fils, ma bataille" est devenu "mon fils, ma guerre mondiale". Les divorces internationaux sont de plus en plus fréquents, avec une question épineuse : qui garde les enfants ?


Conseil de lecture de Serge Hefez, psychanalyste:

"Psychothérapie démocratique" de Tobie Nathan et Nathalie Zajde, publié en avril 2012; aux éditions Odile Jacob.

     

Reportage d’Antoine Ly, cliquez sur le logo :

 

france inter

Enlèvement parental : témoignage d’une maman.

 


Résumé:

Les drames des enlèvements d'enfants dans des pays étrangers... Et pour les rescapés, la très difficile réinsertion !

 

 

 

La médiation familiale internationale , la diplomatie du coeur . © Radio France - 2012 / Danièle Ganancia.

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28 août 2012 2 28 /08 /août /2012 18:09

La rhétorique de la crise empêche de saisir les recompositions à l'œuvre au sein de la société française. En filigrane des mutations contemporaines, on peut pourtant saisir le modèle d'une société incertaine, prise entre la généralisation d'un principe d'autonomie et une demande de sécurité accrue.

 

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Il est devenu banal de le constater : la société française a connu de profonds changements au cours de ces trente dernières années. Elle manifeste pourtant bien des difficultés à penser ses propres transformations autrement que par l'actualisation de ses défections. D'où ce paradoxe : interpréter dans leur globalité les mutations sociologiques et politiques qui travaillent la France contemporaine n'a jamais semblé aussi délicat, voire périlleux. C'est ce paradoxe que nous voudrions contribuer à dénouer en mettant l'accent sur l'incertitude comme forme sociale et enjeu stratégique.

  

Ce que la crise nous cache

 

Les lectures si fréquentes en termes de crise, de déclin ou de manque sont à bien des égards l'expression d'une incapacité à penser le monde complexe, opaque et incertain dans lequel nous vivons aujourd'hui. Il nous semble en effet qu'elles procèdent d'un réflexe quasi naturel de la pensée (chaque époque produit sa littérature de la décadence) qui incline à la déploration et à l'inquiétude en renvoyant souvent à un âge d'or plus ou moins révolu. Or elles ratent l'essentiel : en majorant ce qui se défait ou se déforme, on ne voit pas (ou pas assez) ce qui se restructure ailleurs et autrement, ou, plus profondément, le lien entre ces deux mouvements.

 

De ce point de vue, deux lignes de transformation se conjuguent. La première pourrait être caractérisée par la fragmentation. Nous vivions dans une société qui articulait les mondes du travail, les grandes familles politiques et les styles de vie dans une même représentation. Le travail salarié qui en était le pivot assurait une continuité du social au politique, et du public au privé, dans l'expression des conflits sociaux, la construction des identités collectives et des modèles sexués. L'Etat-nation en était la clé de voûte en embrassant un type d'organisation politique, une identité culturelle et un espace de souveraineté. Or c'est cet agencement qui se défait aujourd'hui. Les représentations d'un espace social structuré autour de classes aux intérêts et aux styles de vie opposés se sont érodées. Le travail a perdu son rôle de « grand intégrateur » et sa capacité à donner sens aux identités collectives. Les sociétés nationales ont perdu leur légitimité, menacées par la globalisation d'un côté, la territorialisation de l'autre. Dès lors, c'est tout le socle de nos repères collectifs qui vacille.


Un processus de fragmentation est aussi à l'oeuvre dans les différents domaines de la vie sociale : à la multiplication des formes particulières d'emplois vient répondre la diversification des univers familiaux ; au pluralisme familial s'ajoute la multiplication des « marchés » scolaires. Il en va de même des grandes villes en proie à des processus de ségrégation et des logiques de séparation. Dans ce contexte, on a assisté à la multiplication des identités (culturelles, religieuses, sexuées, générationnelles ou territoriales), ainsi qu'à une « communautarisation » des conflits sociaux.

 

Pour autant, ces processus ne doivent pas masquer les recompositions à l'oeuvre. Si on évoque de façon récurrente la disparition des classes sociales et de leurs conflits, on observe néanmoins une accentuation et une dispersion des inégalités sociales qui engendrent un profond sentiment d'injustice et alimentent une forte demande de reconnaissance. Loin d'avoir disparu de la scène sociale, l'action collective et la contestation se manifestent aujourd'hui autour de nouveaux enjeux et de nouveaux acteurs, qu'il s'agisse de la mobilisation des chômeurs, des sans-papiers, des sans-logis, ou encore de l'activisme des réseaux antimondialisation. Face à l'annonce de la « fin du travail », on constate l'émergence de formes nouvelles de salariat et de relations d'emploi qui s'appuient toujours plus sur l'initiative et le sens des responsabilités individuelles. A la vulnérabilité et à l'exclusion des uns répondent alors l'intensification du travail et l'optimisation du potentiel des salariés pour les autres. Si la thèse de la « désinstitutionnalisation » n'est pas sans fondement, on assiste également à un réagencement des représentations, des normes et des valeurs de la famille ou de l'école, toutes deux mises à l'épreuve de la diversification et de la complexité des trajectoires. Il y a bien recomposition dès lors que l'on définit en termes de risques (divorce, échec scolaire, etc.) ce qui était appréhendé jusqu'alors en termes de déviances.

  

Les dimensions de l'incertitude

 

L'incertitude résulte de ces processus de fragmentation/ recomposition et des logiques contradictoires qui travaillent notre société en profondeur. En d'autres termes, l'incertitude se présente à bien des égards comme un prisme pour interpréter les mutations de la France contemporaine. La famille devient incertaine dès lors que « le seul devoir de chacun est de choisir son bonheur » (Louis Roussel) ; l'individu, l'école, la représentation politique, entre autres, basculent aussi dans l'incertitude. Sous cet éclairage, « incertitude » désigne au moins trois processus, enchevêtrés :

 

1) la faillite du mythe du progrès et les désillusions du changement ;

 

2) l'opacité du social et la complexité d'un monde qu'on ne peut plus penser dans les catégories d'hier et sur lequel on ne peut pas davantage agir comme avant ;

 

3) un changement social pathologique où les exigences pesant sur l'individu ne sont pas articulées au politique et interviennent dans un environnement économique dépressif. Mais ce qui est en jeu, c'est aussi l'incertitude politique d'une société qui peine à se gouverner et à maintenir la légitimité de ses institutions et représentants.

 

Il faudrait distinguer plus qu'on ne peut le faire ici plusieurs dimensions ou figures de l'incertitude. A commencer par l'incertitude du temps : plus que jamais, l'avenir semble incertain et contradictoirement ouvert ; tout est possible, tout peut arriver. Il en résulte une profonde modification de notre rapport au temps. Si jadis les pesanteurs du présent trouvaient à se dissiper dans le scénario d'une possible libération dans l'avenir, aujourd'hui le repli sur le présent domine alors que l'avenir est gros de menaces : chômage, retraite, situation du service public, santé publique, menaces écologiques, etc. Mais c'est aussi l'incertitude normative qui caractérise nos sociétés d'individualisme de masse : c'est moins à la dissolution des repères que nous sommes confrontés qu'à une mutation normative. Aux modèles fondés sur l'obéissance et l'interdit est venu se substituer le modèle de l'autonomie et du souci de soi. Faire preuve d'autonomie, s'investir dans des projets, manifester son sens des responsabilités, prendre des risques : voilà ce qui nous est demandé. D'où, aussi, la montée des vulnérabilités individuelles.

 

L'incertitude, la démotivation, la dépression constituent bien l'envers du gouvernement de soi. Ce double processus travaille les différentes dimensions de l'expérience sociale, qu'il s'agisse de la vie familiale et scolaire, des loisirs et du sport, ou encore de la participation aux institutions et à la vie locale. Mais il faudrait aussi mentionner l'incertitude juridique, avec une opacité des textes et des procédures, qui rend plus problématique l'accès aux droits (sociaux et civils) et fabrique des situations indécidables ; l'incertitude, également, des politiques publiques dont les politiques de la ville sont un bon révélateur. Force est de constater que ces politiques n'ont pas eu les effets escomptés, tant sur le plan urbain (dégradation du cadre bâti, accentuation des processus de ségrégation) que social (augmentation du taux de chômage, de la précarité) et économique (faible implantation d'entreprises ou emprise sur le bassin d'emploi local).

 

Il s'agit d'une politique difficile à mener et à lire. Elle fait, en effet, intervenir une multiplicité d'institutions et d'acteurs. Elle se caractérise aussi par la complexité des dispositifs et des procédures dont la visibilité auprès des principaux concernés, à savoir les habitants, est souvent faible, et les résultats, « indécidables ».

 

L'incertitude est également une dimension fondamentale de l'individualité contemporaine. Disons, sommairement, que nous sommes dans une société où l'individu a gagné en liberté ce qu'il a perdu en certitudes. D'un côté, en effet, le "je" s'émancipe du "nous" à mesure que l'individu dispose de moyens accrus (consommation, mobilité, communication, etc.) pour se réaliser et accomplir ce qui se présente comme son destin personnel. Mais d'un autre côté, il évolue aussi dans un univers où les règles sont devenues plus floues ou plus instables.

  

Autonomie et sécurité : une tension structurante

 

C'est le cas, par exemple, dans le monde de l'entreprise et du travail salarié qui a su retourner la critique sociale des années 1960-1970 pour inscrire l'aspiration à l'émancipation et à l'autonomie individuelles dans un processus continu de réorganisation de l'emploi. Dans l'entreprise flexible et décloisonnée que promeut le discours managérial, le salarié ne doit plus ? ou plus seulement ? obéir et suivre des règles prescrites : invité à s'affranchir des routines professionnelles ou des griffes d'une hiérarchie pesante, il doit en revanche être impliqué, adaptable et réactif pour atteindre coûte que coûte les objectifs qui lui sont assignés.

  

Il ne faut donc pas se méprendre sur le sens de l'autonomie individuelle, souvent associée à un individualisme corrosif, synonyme de repli sur soi, voire de montée des égoïsmes. L'autonomie se présente en fait sous un jour paradoxal : c'est à la fois une aspiration largement partagée (développer son propre style de vie, vivre « à la carte ») et une norme très contraignante qui impose à chacun, dans toutes les sphères de la vie sociale, de se prendre en charge et d'être « l'auteur de sa vie ». Cette exigence place les individus dans une situation anxiogène dès lors que chacun ne dispose pas des mêmes ressources pour faire face au changement ou pour agir et réagir en stratège avisé. Il s'ensuit que notre société est travaillée par une tension forte entre une exigence croissante d'autonomie et une demande de sécurité, d'autant plus pressante, d'ailleurs, que les mutations de l'environnement économique et social, de même que l'ouverture de nos sociétés sur le vaste monde, attisent les inquiétudes.

  

Là se nouent finalement les principales contradictions sociales et politiques du moment : valorisation de l'individu mais fragilisation des supports sociaux d'un côté ; une demande de protection qui intervient tandis que l'Etat joue un moindre rôle en tant qu'opérateur économique et social de l'autre. Aujourd'hui, la victimisation et l'émergence d'une société « contentieuse » sont le reflet de cette contradiction : se poser en victime est en effet devenu une autre façon de solliciter aide et protection, qui signale les limites des réponses étatiques.

  

L'exploitation idéologique du risque

 

Comment résoudre cette tension entre un élargissement du champ des possibles dans tous les domaines de la vie sociale et une demande accrue de sécurité ? sanitaire, publique, sociale, etc. ? Au fond, chacun sollicite les autorités ou se pose en victime de leur impéritie, mais chacun aspire aussi à vivre sa vie, en quelque sorte, à sa guise. Autrement dit, les individus en appellent de plus en plus à un Etat dont ils cherchent par ailleurs à se déprendre. Telle est bien la nouvelle donne qui complique singulièrement l'équation politique. C'est dans ce contexte que l'on voit émerger progressivement un nouveau mode de gestion politique de l'incertitude sociale, dont les manifestations sont plurielles.

 

On peut noter à cet égard la généralisation du procédé contractuel dans l'élaboration et la mise en oeuvre de l'action publique. Cette évolution du système normatif signale bien l'émergence de nouvelles logiques d'action de l'Etat. La contractualisation est en effet une technique qui permet de gérer la complexité et l'incertitude sociales ; c'est une technique qui reconnaît et qui valorise l'autonomie, mais à condition qu'elle s'inscrive là où elle a sa place : dans une procédure définie au préalable ou dans les clauses d'un contrat ? celui que signe par exemple le contrat social, la collectivité locale, tel ou tel service de l'administration. Comme l'entreprise dont il s'inspire, l'Etat substitue ainsi une logique de contrôle à une logique disciplinaire, devenue improductive. Le succès du vocable « gouvernance », forgé initialement dans le monde de l'entreprise et diffusé désormais dans l'administration, suggère bien la généralisation d'un nouveau mode de régulation des activités humaines. Il s'agit d'une forme de gouvernement indirect, par les dispositifs, qui s'emploie à canaliser l'autonomie des acteurs en les investissant de nouvelles responsabilités.

 

Les nouvelles politiques de gestion des risques relèvent également de ce nouveau mode de régulation du social. De fait la thématique du risque, développée initialement par le sociologue Ulrich Beck, rencontre désormais un succès grandissant en sciences sociales et dans la rhétorique politique. Or, il faut prêter attention à cette notion qui s'avère particulièrement ambiguë. Pour U. Beck, nos sociétés fabriquent de plus en plus de risques, qui sont en quelque sorte la contrepartie du progrès et des activités humaines, qu'elles favorisent (recherche scientifique, nouvelles technologies, choix individuels, etc.). Mais le risque est également une forme de savoir sur les événements, un savoir qui s'affine et s'individualise à mesure que notre information statistique s'enrichit. Dans une société réflexive comme la nôtre, qui produit de plus en plus de connaissances, on assiste ainsi à une prolifération des risques, événements prévisibles et calculables.

 

Sous ce double éclairage, la catégorie du risque entretient certaines équivoques, qui favorisent sa dérive ou son exploitation idéologique. En effet, si l'on admet que le risque est partout, il paraît assez vain de vouloir s'en protéger à tout prix ; mieux vaut apprendre à « vivre avec » et à le gérer efficacement. Par ailleurs, si les risques se développent avec la capacité d'agir dont disposent les acteurs sociaux (entreprises, groupes, individus, etc.), il peut sembler raisonnable de demander à chacun de s'en prémunir, voire d'en assumer toutes les conséquences. Dans cette perspective, le thème du risque devient alors un puissant levier de transformation politique et sociale qui légitime à la fois une reconfiguration des interventions publiques, une érosion des protections collectives et une extension du périmètre de l'assurance privée. Plus encore, il tend à imposer une « culture du risque », qui incite chacun à se prendre en charge.

 

Dès lors, tout porte à croire que si le risque est au centre d'une rhétorique envahissante aujourd'hui, c'est qu'il peut s'incarner dans des technologies politiques qui permettent à la fois de contenir les demandes de sécurité et d'encadrer l'autonomie des acteurs sociaux ; "à condition que ceux-ci disposent des moyens d'action, qu'ils soient intellectuels ou matériels". C'est bien ce qui se dessine dans certaines politiques publiques, qui organisent un important transfert de responsabilités en direction de l'individu (information systématique, incitation à la prévention, à l'autolimitation, à l'autocontrôle, etc.) Les politiques du risque s'efforcent ainsi de faire prévaloir un certain gouvernement de soi. Elles font appel à la responsabilité individuelle, qui se présente désormais comme une norme obligatoire, sinon la forme contemporaine de la contrainte sociale. 

 

Michel Kokoreff et Jacques Rodriguez - www.scienceshumaines.com

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17 août 2012 5 17 /08 /août /2012 15:07

"Cruauté, voyeurisme morbide, violences psychologiques et sexuelles, humiliations : La téléréalité semble devenue folle..." Et le drame se joue maintenant !

 

-Documentaire Infrarouge sur France 2-

 

Son arrivée au début des années 2000 ouvrait une nouvelle ère dans l'histoire de l'audiovisuel. Cinquante ans d'archives retracent l'évolution du divertissement : comment la mise en scène de l'intime, dans les années 80, a ouvert un nouveau champ, comment la privatisation des plus grandes chaînes a modifié le rapport au téléspectateur.


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A l'aide de spécialistes, dont le philosophe Bernard Stiegler, ce documentaire démontre comment l'émotion a fait place à l'exacerbation des pulsions les plus destructrices !

      

 

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7 août 2012 2 07 /08 /août /2012 15:44

En Europe, trois salariés sur quatre rêvent de tout quitter pour changer de vie. La bifurcation professionnelle n’est souvent qu’un prétexte pour assouvir un désir plus profond : la réalisation de soi.

   

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Un lundi d’octobre, à la fin des années 1980. Il est déjà tard. La bourse a clôturé en hausse et les traders, vaguement rassurés, sont rentrés chez eux. Seule une longue silhouette arpente encore la salle des marchés. Henry Quinson, brillant golden boy, dépose sur les bureaux désertés d’énigmatiques messages d’« à-dieu ». Spécialiste des options de change, qu’il enseigne à Sciences-Po, fin limier de la politique à laquelle il s’est aguerri au sein de l’UDF, ce trader courtisé vient de prendre, à 28 ans, une décision aussi brutale qu’inattendue : quitter la ville, sortir de la course et rejoindre un monastère pour le restant de ses jours.

  

À 300 kilomètres de là, ce même lundi soir, à quoi songe Michel Macé ? Le regard noyé dans le lac des Settons, en plein cœur du Morvan, peut-être est-il saisi de doutes. Quelques semaines plus tôt, ce salarié sans histoires a « pété les plombs ». Du jour au lendemain, il a plaqué son boulot en banlieue parisienne, son pavillon à peine construit, son quotidien, pour réinventer sa vie à la campagne. Il voulait rompre, dit-il, avec son ancien travail, dans une usine de chaudières, avec pour tout horizon des chaînes de montage et une ligne de chemin de fer. Il rêvait d’une herbe plus verte, ailleurs. Il avait « des fantasmes, mais pas de projets ». Puis « lors d’un week-end de randonnée dans le Morvan, avec ma compagne, on a découvert que La Vieille Diligence était à vendre ». Une ruine et quelques chevaux, au milieu de nulle part, qui leur ont fait miroiter un avenir serein au contact de la nature. Ils découvrent à présent l’envers du décor : « La campagne est sinistre quand il pleut. Et le silence, ce silence effrayant et massif, comment l’appréhender ? »

   

Combien sont-ils, comme Henry ou Michel, à avoir largué les amarres de leur quotidien ? Combien sont-ils les déçus du voyage pour qui l’aventure a tourné court ? Combien de réussites, d’échecs et de réorientations ? Dans tous les cas, les statistiques officielles restent muettes. Chose inhabituelle, les seuls chiffres dont nous disposons concernent les rêves, et non les faits. Les salariés européens seraient 74 % à songer à se reconvertir, d’après une étude commanditée par le site d’offres d’emploi Monster.fr, et seuls 8 % se déclarent satisfaits de leur carrière actuelle. Le désir de fuite semble donc être la chose la mieux partagée au travail. La crise économique actuelle, loin de décourager les aspirants au changement, semble même précipiter les réorientations professionnelles volontaires. « Puisque rien n’est vraiment sûr, autant faire ce dont on a vraiment envie, note Catherine Sandner, auteure de Changer de vie. Du break à la reconversion. D’ailleurs, aujourd’hui, personne ne s’en prive. Tel consultant plaque tout pour devenir moine bouddhiste, les “j’aurais voulu être un artiste” troquent leur tailleur pour le costume de saltimbanque, les Franciliens débarquent par familles entières en province pour se lancer dans les chambres d’hôtes, les stages équestres ou les massages new age !! … »

  

S’agit-il d’un mouvement social, le signe d’une recomposition en cours ? Les sociologues hésitent. Pour Catherine Négroni, qui a consacré sa thèse à la Reconversion professionnelle volontaire, ce mouvement est à la fois individuel et social. Certes, l’individu, majeur et responsable, demeure l’acteur principal de sa reconversion. Mais la société, à tant valoriser le changement personnel, transforme la bifurcation professionnelle en expérience sociale et l’anticonformisme en norme. L’idée qu’une autre vie est possible s’est immiscée dans toutes les strates de la société, balayant au passage les valeurs de fidélité et de stabilité qui prévalaient jusque dans les années 1970. Selon le sociologue François Dubet, plus qu’à une tentation, nous faisons face aujourd’hui à une injonction. Dans une société incertaine où se dissolvent couple, famille et structures anciennes de solidarité, chacun est appelé à bouleverser les schémas préétablis, à inventer son avenir, à s’assumer, à s’épanouir.

 

Rompre ! Mais avec quoi ?

  

Dans un tel contexte, les salariés partagent tous les mêmes rêves : devenir son propre patron, être artiste, voyager, créer son activité ou s’installer à la campagne. Tous ces projets – ou fantasmes – obéissent à la même logique : sortir du salariat, prendre sa vie en main, agir plutôt que subir. Certains sociologues y voient une stratégie défensive face à l’insécurité de l’emploi. En réalité, le désir de changement se révèle toujours plus complexe, et fondamentalement ambivalent. Le salarié oscille en permanence entre défection et engagement, entre angoisse et exaltation. Des interrogations existentielles se greffent sur le projet de bifurcation professionnelle : on cherche à rompre, mais avec quoi ? Avec son métier, avec son environnement, avec son passé ? Et pour aller vers où, vers quoi, pourquoi ? Sur le site de Sciences Humaines, un internaute anonyme résume cette confusion des sentiments : «  J’ai 31 ans et j’ai le sentiment de ne pas être à ma place ici et maintenant dans ma vie. Tout va bien pourtant, mais je ressens le terrible besoin de voyager, tout quitter et changer de vie. Serait-ce une fuite que de vouloir partir, de l’immaturité, ou bien un appel de la petite voie intérieure ? Si quelqu’un peut me conseiller…»

   

Ce terrible besoin se fait strident ou sourd, selon les moments. Pour la plupart des gens, le changement radical reste une potentialité qui ne se réalisera jamais. Ceux qui sont passés à l’acte racontent toujours le même scénario : il a fallu un événement déclencheur, un déclic ou une crise. La sociologue Claire Bidart, qui a réalisé une enquête qualitative, utilise la métaphore de la cocotte-minute. Pendant quelques mois, la pression – professionnelle, familiale ou existentielle – ne cesse de monter. Très souvent, c’est une rupture amoureuse ou un divorce qui fait « sauter le couvercle ».

    

La naissance d’un enfant, le deuil d’un parent, l’expérience de la maladie font aussi partie des événements qui conduisent à la remise à plat de son expérience. Parfois, un simple changement dans l’organisation du travail sert de déclic : une transformation des modes de production, l’arrivée d’un nouveau directeur ou la restructuration d’un service. Michel Macé, lui, n’a pas supporté l’irruption de la programmation assistée par ordinateur (PAO) dans son usine de chaudières : « La PAO, ça a tout changé. Avant, nous travaillions dans une ambiance bon enfant. On se levait, on se baladait, on discutait… Soudain, chacun s’est retrouvé derrière un ordinateur. On ne se parlait plus. On ne plaisantait plus. Un matin, j’ai eu un choc. Je me suis dit : je ne vais pas pouvoir passer mes journées entières derrière un écran. L’idée de partir est née, pour moi, ce matin-là. »

Cette crise ouvre un espace de liberté. Un désir professionnel enfoui depuis longtemps ressurgit. On veut mettre au diapason convictions personnelles et mode de vie. On souhaite se consacrer davantage aux autres…

 

Dans presque tous les cas, la réalisation de soi prime sur le contenu du projet professionnel. Ce poids existentiel s’est immiscé, mine de rien, dans notre manière de nommer le changement. « Il y a encore dix ans, rappelle C. Négroni, l’idée de reconversion professionnelle n’était pas entrée dans le champ social. On parlait seulement de reconversion industrielle. Or, l’idée de reconversion professionnelle, qui s’est imposée aujourd’hui, va bien au-delà du changement biographique. Elle porte en elle l’idée de conversion, de retour à soi, de rencontre avec une partie de soi-même, d’où débouchera, peut-être, une importante transformation. »

 

« S’engager réellement »

 

N’y a-t-il pas un risque à attendre autant d’un changement de cap ? Se trouver soi-même en changeant de métier ou de lieu de vie relève peut-être de l’illusion. À trop espérer, à trop s’investir, on est souvent déçu. « C’est comme dans une histoire d’amour, souffle Florence Dumont, ancienne employée dans l’administration reconvertie dans l’hôtellerie. Au début, tout est beau, tout est rose. On idéalise sa nouvelle vie, on en nie les défauts, on se dit que c’est la plus belle chose qui nous soit arrivée. Puis vient le moment de la désillusion. Rien ne va plus, l’argent ne rentre pas, le métier n’est pas si réjouissant. Les crises se succèdent, on s’énerve, on pleure, on désespère. Il faut rompre à nouveau, admettre qu’on s’est trompé, revenir en arrière. Ou alors, il faut prendre la décision de s’engager réellement, en connaissance de cause, et accepter qu’à la phase initiale de passion aveugle succède une phase de maturation vers un projet professionnel raisonnable pour les autres et acceptable pour soi. »

 

François-Xavier Demaison, célèbre fiscaliste reconverti dans le one man show, insiste aussi sur la dimension temporelle de cette expérience : « Il faut cinq ans pour réussir du jour au lendemain ! », ironise-t-il. F. Dumont, deux ans après sa reconversion, hésite encore entre la persévérance et la rétractation. H. Quinson et M. Macé ont choisi, au milieu du gué, de réorienter leur trajectoire. L’ancien trader a quitté le monastère cinq ans après y être entré, sans pour autant se défroquer. « Moine des cités », il a choisi de se consacrer à l’enseignement dans les quartiers nord de Marseille. « Pour moi, explique-t-il, l’idée de vocation a évolué. Je la percevais au départ comme une nécessité absolue, une forme de soumission à Dieu. Aujourd’hui, j’ai découvert que j’étais libre. J’ai décidé d’inventer ma vie et de créer mon activité en fonction de mes talents. Or je savais par mon expérience que j’étais meilleur dans l’enseignement que dans la fabrication de fromages… »

 

M. Macé, de son côté, s’est inventé un nouveau métier : chuchoteur. Comme le héros de Nicholas Evans, incarné au cinéma par Robert Redford, il murmure à l’oreille des chevaux. Pour assurer sa subsistance, il a transformé La Vieille Diligence en maison d’hôte. Il s’est « désintoxiqué du bruissement de la ville » et a écrit un livre sur l’équitation éthologique.

 

Changer d’identité ?

 

Florence, Henry et Michel ont-ils changé eux-mêmes en changeant le décor de leur existence ? Leurs amis estiment que non. Mais en leur for intérieur, tous se sentent « un peu transformés », « enrichis » malgré la baisse significative de leurs revenus. Pour le sociologue Claude Dubar, c’est à une « redéfinition de soi » qu’oblige le changement de vie. À un moment ou à un autre, la réflexion sur soi-même, sur ses capacités, sur son histoire personnelle apparaît comme incontournable. Ce travail sur soi peut déboucher, dans le meilleur des cas, sur une conversion identitaire. L’individu cesse de s’identifier à héritage familial ou à un environnement social : « Il se convertit à une autre définition de soi, des autres, du monde. » Mais ce travail sur soi a un revers. Il est susceptible de provoquer un repli ou une dépression. Les individus contemporains, « obligés d’être libres et de réussir, doivent se considérer comme la cause de leur propre malheur s’ils n’y parviennent pas », souligne François Dubet, rejoint sur ce point par Alain Ehrenberg, auteur de La Fatigue d’être soi.

  

Cette face sombre du changement de vie, qui s’en soucie ? Les magazines, épris de belles histoires, renvoient souvent à des exemples de liberté conquise et d’épanouissement revendiqué. D’où le risque, pour beaucoup, de changer de vie à la légère, sans conscience des renoncements qu’ils devront faire, des interrogations auxquelles ils devront faire face. Certes, il existe aujourd’hui une pléiade de réponses institutionnelles qui permettent d’accompagner le changement : le congé individuel de formation (CIF), la validation des acquis de l’expérience (VAE), la convention de reclassement personnalisé (CRP), le bilan de compétences, etc. "Mais en dépit de tous ces dispositifs, l’aspirant à la reconversion se retrouve toujours, au moment du choix comme à l’heure du bilan, seul face à lui-même."

 

Héloïse Lhérété pour www.scienceshumaines.com

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24 juillet 2012 2 24 /07 /juillet /2012 12:26

Plus de trente ans séparent ces deux textes de Dimitris Dimitriadis, auteur dramatique et poète grec. Effet de miroir insolite entre deux oeuvres distantes et étrangement prophétiques !

 

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"A la demande répétée de mes lecteurs, je publie ici l'intégralité de ces deux textes, accompagnés d'un entretien de Marie Richeux sur France Culture ; Avec pour invité Dimitris Dimitriadis."

    

« Je meurs comme un pays » est un texte paru en 1978, un long paragraphe entrecoupé de points de suspension. Une voix qui dit son dégoût, (suis-je du vomis), le dégoût du pays qui ne laisse pas être vivant. La Grèce n’est pas nommée, mais l’auteur sait d’où il parle, il sait ce qu’il sonde comme histoire. Il le sait, ou le saura plus tard. Car côté pays-pourri-de-l’extérieur comme-de-l’intérieur, la Grèce fait office d’exemple récurrent ces jours-ci.

 

2012: Le texte « La conscience historique » pointe l’urgence. Le moment où l’homme, les hommes, la communauté des hommes a le choix non seulement d’agir, mais de choisir la nature de l’action. Le texte fait une hypothèse, et se referme sur lui-même laissant à chacun le soin d’apprécier le bienfondé de la dite hypothèse. Il y est question d’identité profonde, qui ne saurait être que créative. Il est aussi question de la conscience de l’héritage toujours plus aigu lorsqu’on s’apprête à le perdre. Il y est question de répétition, d’immobilisme, et de ce que l’on appelle le changement.

 

Marie Richeux nous raconte, avec sa voix de miel, quelques extraits de ces textes fabuleux. Cliquez sur le logo France Culture:

 

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Texte premier: "Je meurs comme un pays"

 

(...) Et cette année-là où aucune femme ne conçut d'enfant, où les hommes allaient deux par deux dans les rues et les cafés en se crachant au visage mais chacun semblait cracher sur lui-même, puis ils partaient enlacés s'accoupler dans des sous-sols obscurs ou des tièdes buanderies où ne pouvaient les retrouver les femmes frénétiques, l'épidémie de la stérilité bien enfoncée dans leurs entrailles - elles les cherchaient dans les bordels et dans les bars, et cette recherche vaine les rendait plus belles encore, plus attirantes, plus fascinantes, plus femmes, plus à même de provoquer des passions effrénées, plus douces, elle enveloppait leurs travaux d'approche d'un scintillement de désespoir qui se gravait dans l'esprit du spectateur et ne le quittait plus, car au cours de cette recherche les femmes avaient compris que les formes de désespoir sont nombreuses, mais que l'une d'entre elles leur appartient en propre dans les siècles des siècles -, c'est cette année-là qu'eurent lieu la plupart des conspirations dans les plus hautes sphères de l'État, des paquets de députés se vendaient, passaient en se pavanant dans le parti diamétralement opposé dans le seul but de satisfaire des ambitions personnelles ou familiales (l'un d'entre eux, dit-on, accepta de devenir ministre pour donner une dernière joie à sa vieille mère mourante car elle se rongeait les sangs de voir son fils vieillir député), les patriotes et nationalistes fanatiques mettaient à l'abri des fortunes entières à l'étranger avec l'aide de régimes se reflétant mutuellement, que certains d'entre eux maintenaient au pouvoir par leur argent et leurs relations, (...) les gouvernements changeaient à une allure vertigineuse dans une succession d'échecs, de crimes et d'innombrables formes d'impuissance, qui menait au bord de l'effondrement spirituel, des partisans enragés de politiciens défunts les sortirent de leurs tombes, et les soulevant dans leurs cercueils boueux, les promenaient dans les rues, réclamant par des slogans extrémistes leur retour à la vie politique, prétendant qu'eux seuls pouvaient sauver le pays de la disparition totale, (...) des intellectuels fanatisés, du haut de leurs balcons, exhortaient les foules stupéfaites à renier la vie, à ne se nourrir que de racines, à se reproduire en couchant avec des statues mutilées, dans un égarement sentimental et idéologique semblable à celui de ces gens qui s'efforçaient d'intervenir dans la brûlante réalité, d'imposer un changement radical en appliquant des programmes politiques issus d'autres époques - démarches qui ont reçu le nom de «Métaphysiques du Dogme», et passent pour l'un des crimes avec préméditation les plus barbares -

 

(...) les meurtres atteignirent une fréquence, une cruauté inconcevables, des gens disparurent à jamais pendant la nuit et nul n'entendit plus parler d'eux ; des fosses communes s'ouvrirent dans les cimetières des faubourgs des villes, où l'on jeta des masses de corps fauchés aux heures d'aveuglement partisan, on constitua partout des pelotons d'exécution improvisés qui fusillaient au nom de l'intégrité territoriale, de l'indépendance nationale et de la grandeur de la race, (...) et P. Karayànnis supprima H. Karayànnis, Vassiliàdis supprima Nikolaìdis, Andrikòpoulos supprima Solomonìdis et ses frères, Dròssos supprima Kèllis, Ferendìnos supprima Goùmas, Zikìdis supprima Smyrnèoglou et ses fils, M. Hadziprodròmou supprima F. Hadziprodròmou, Kostòpoulos supprima Delipètrou, Pagoulàtos supprima Fotiàdis et Ghèlekas et Dimitrìou, Vlassòpoulos supprima Apostolòpoulos, Constandinìdis supprima Matthèou et ses frères, A. Melas supprima D. Melas, Simeònoglou supprima Yatrou et ses fils, B. Notaras supprima P. Notaras et E. Notaras..., les prédictions les plus sombres des médiums commencèrent à se réaliser, dans toutes bibliothèques les dialogues platoniciens disparurent, (...) dans les morceaux de musique on n'entendait plus jamais de violon, les projecteurs de cinéma ne laissaient plus passer la lumière, (...) les romans se réduisirent à leurs dialogues et les pièces de théâtre à leurs didascalies, (...) les diagnostics des médecins se révélaient toujours faux, (...) des cimetières entiers partirent dans les airs comme des nuées d'oiseaux, phosphorescents, des hommes couraient les rues en riant sans cesse comme on rit dans son sommeil, et une lumière pleine de douleur et d'amour inemployé planait en permanence au-dessus de toutes les maisons, donnant au paysage entier l'allure d'un visage crispé de jeune fille qui, voulant sauter la barrière de sa virginité mais craignant le contact avec l'homme, enfonce avec la rage incontrôlée, sismique du désespoir une barre de fer dans son sexe en hurlant «mon Dieu, mon Dieu», tournant la tête comme une perdrix vers le ciel, mêlant les deux extrémités de la vie dans la fontaine bouillonnante, embaumée, de son sang. Car il s'était accumulé tant de choses dans le cœur des hommes, que les cœurs ne parvenaient plus à tout contenir. L'avancée de l'ennemi hâta ce qui se préparait depuis des siècles, et attisa des espoirs que les autorisés locales avaient tant de fois déçus. L'heure ultime approchait.

 

Tandis que les armées ennemies s'enfonçaient dans le pays, des réarrangements historiques ramenaient, plein de vigueur après des siècles d'ostracisme, le royaume de l'imaginaire aux multiples faces qu'on réinstaura dans toutes les têtes, inaugurant le nouveau cycle historique. (...) Les lois se supprimant elles-mêmes furent abrogées. Les institutions furent inversées, leur exact opposé entra en vigueur. (...) En un seul instant se réalisa le rêve inavoué de tant de générations, à savoir le passage au millénaire de la Schizophrénie Multiforme Consciente (que s'accomplisse la parole du Seigneur annoncée par la bouche du prophète : telle sera la santé de l'avenir, ce qui signifie, en d'autres termes, la fin de l'homme unidimensionnel). (...) Le droit des mélancoliques s'imposa. Les taciturnes et les solitaires se mirent à légiférer. Tout le monde écoutait religieusement l'opinion de ceux qu'on rangeait auparavant dans la catégorie des anormaux. (...) De nouveaux délits d'instincts se créèrent, tandis que les anciens, séculaires, cessant de susciter les railleries, étaient reconnus comme soutien de l'État dans sa politique tant intérieure qu'extérieure. (...) Le crime devint légal, constituant désormais la clef de voûte de toute manifestation publique. (...) On vit se multiplier les cas de passion amoureuse, les déclarations d'une franchise vertigineuse, les cadeaux. (...) Tous les humains furent déclarés saints et entreprirent de se vénérer les uns les autres. Les mots acquirent une intensité sans précédent, au point que tout le monde réfléchissait longtemps avant de les choisir, car certains d'entre eux pouvaient maintenant brûler la langue à jamais. (...) L'Église publia une encyclique imposant les plus sévères sanctions à tous les hommes et toutes les femmes qui n'osaient pas révéler publiquement l'autre sexe en eux, lequel se trouve enclos par la nature et par Dieu dans la constitution de tout être humain, instituant le mystère de sa dualité, ce qui eut pour effet immédiat de remplir les rues d'hommes en vêtements de femme ostentatoires, profondément convaincus d'être porteurs d'un don divin, qui se firent preneurs et dispensateurs d'élans inouïs tandis que des femmes, affranchies du désir des hommes et s'adonnant aux joies de la procréation mentale, poursuivaient d'autres femmes jusque dans les églises, à l'heure de la messe (dans le rite ambrosien, vu le déchaînement du rut), que célébraient des prêtres rasés de la tête aux pieds dans des soutanes arachnéennes, nus en dessous, (...) le voile de la Vierge dans les cheveux, des insignes atroces accrochés au cou, avec des airs de Médée, de Messaline et de Brunehilde au moment de bénir, pris de spasmes sacrés, le pain et le vin sur les autels où passait chaque dimanche une boue sanglante, transformant les fidèles en assemblée d'élus qui voyaient enfin Dieu de leurs propres yeux, extasiés, grâce aux nouveaux codes régissant sa révélation. (...) Une prière : «Ô semence humaine, toi qui es la source de tous relâchements vitaux et profanations, ô salive au doux parfum sur la chair où frémissent, où se dressent la beauté renversante et la folie érotique, ô corps qui me fais souhaiter pour ultime cercueil un corps semblable palpitant pour que respire autour de moi ton sang et que la fureur de te conquérir soit l'apothéose et le couronnement de ma mort, ô labyrinthe de mon âme immense et ramifiée dont les foules voraces me tourmentent, combien de temps, bête bourbeuse, mangeuse de racines, éprise de l'humus, t'enfermeras-tu dans la pourriture et les remous des échanges creux, combien de temps m'empêcheras-tu de bon ou de mauvais gré d'atteindre ce point où j'aurai la force de donner une voix à tous les visages, un visage à toutes les voix ? Ô silence vaste comme le scintillement profond des étoiles, sauve-moi...» (...)

 

(...) La stérilité des femmes et l'imagination fiévreuse de tout un peuple, l'effondrement définitif de la dignité et de l'intégrité nationales, et le nombre sans cesse croissant de malades et de désespérés qui faisait penser au fameux «mal du dérèglement» ou à ces mots : «Ce mal ne se pouvait décrire par des mots, pour ce que ses douleurs outrepassaient les forces humaines», préparèrent un accueil triomphal aux troupes ennemies dans la capitale où s'étaient repliés tous ceux qui avaient tenté de se réfugier dans les provinces lointaines (mais qui donc leur avait fait croire soudain qu'il en existait ?), car tous les fronts cédant, tout espoir de fuite où que ce soit s'envolait. Tous, malades et vieux (seules ces deux catégories subsistaient), attendaient de l'ennemi tous les bienfaits - si grands étaient le trouble et la déception face à la fourberie, la mesquinerie, la dévorante frénésie qui avaient prévalu jusqu'alors, combinées à une fixation maladive sur des mécanismes bloqués de l'Histoire. C'est pourquoi il était hors de doute que cette fois l'occupation serait bien plus durable que la résistance engagée de temps immémorial, qui avait nourri légendes, contes, chansons, épopées, romans, ballets, trilogies et tétralogies théâtrales, revues, études scientifiques, films et opéras, qui chantaient des héros et de grandes victoires insurpassables. Et maintenant tout cela était englouti, à jamais, dans une boue noire. (...) Des arbres généalogiques foisonnants, aux racines profondes furent jetés au feu. Des bureaux d'état-civil furent soufflés par des bombes. Les plus grands pillages eurent lieu dans les musées et les archives de l'État. Des fortunes fabuleuses furent confisquées. On dévoila scandale après scandale, dans un délire d'autopunition collective. (...) La vie amoureuse de quatre cents Premiers ministres au moins servit de matière à des films orgiaques s'appuyant sur des éléments irréfutables. Des hommes publics, n'ayant pas eu le temps de déguerpir à l'étranger, furent contraints d'abandonner les plus hautes fonctions et de passer aux aveux devant des masses écumantes qui les lynchaient puis les mangeaient avec la rage vengeresse des victimes d'injustices. De vénérables membres du Saint-Synode furent acculés par leurs propres crimes inavouables à de spectaculaires suicides (ils furent nombreux à se trancher la gorge ou avaler du cyanure en lisant l'Évangile, sous les applaudissements enthousiastes des fidèles qui s'en allaient soulagés, délivrés des péchés d'autrui dont on les accablait depuis la fondation de l'Église). (...) On redessina le plan des villes, tout fut rasé puis reconstruit. L'exploitation du sous-sol passa dans d'autres mains. (...) Le nom du pays changea. Le nouveau ne rappelait en rien l'ancien...» (...)

 

L'occupation en effet dura des siècles. Le temps nécessaire à ce que les frontières traditionnelles du pays disparaissent, absorbées au sein de la vaste ordonnance qui désormais recouvrait toute la planète - car la langue cessa un jour, comme on l'avait projeté, d'être parlée, et se mit à exister comme une relique, un concentré d'époques révolues, dont la valeur est proportionnelle à celle des œuvres écrites dans cette langue. Il s'agit d'une masse compacte et labyrinthique, où se trouve un nombre incalculable de pages entourées désormais du cercle infrangible du temps qui les protège dans une lumière de paix surnaturelle. Certaines décrivent la stérilité des femmes de cette année-là. Ce sont les pages d'un chapitre pléthorique et polyphonique où l'on peut lire, sous le titre «Témoignage du temps de la Grande Défaite», divers documents (lettres, journaux, récits de témoins oculaires, à la première ou la troisième personne, et même des descriptions littéraires, ou à prétention littéraire, photographies, statistiques, etc.) sur cette année qui est passée avec ses horreurs dans le domaine de l'imagination la plus cruelle, et bien qu'elle reste totalement inexplorée, personne n'entreprend de l'étudier scientifiquement - on s'en remet au fait qu'elle s'est terminée de façon assez probante pour satisfaire absolument, du moins selon les historiens, aux exigences de la science, comme une mort qui vient vérifier l'exactitude de sa prévision, et cela suffit à tous ceux qui voient dans l'humanité ce phénomène universel qui produit des cycles éternellement, des cycles qui dès qu'ils se referment, suffisent à justifier leur producteur, étant l'expression suprême de sa destination en ce monde. Dans ces cycles, on le sait, les cris individuels ne sont pas entendus.

 

(...) «... Je hais ce pays. Il m'a dévoré les entrailles. Je t'écris à toi parce que nous désirions ensemble que ces entrailles soient fécondes, et ce désir nous a unis pendant des nuits et des nuits... et à d'autres heures du jour, quand un miracle soudain nous faisait oublier la terreur qui courait dans les rues comme dans nos veines... les bulletins d'informations de cauchemar qui nous empêchaient même de nous regarder... lus par des présentateurs totalement fous... les hurlements qui couvraient jusqu'aux sirènes des ambulances... Jamais je n'aurais cru que la voix humaine puisse atteindre de telles hauteurs... être si insondable... s'imposer au point de tout bouleverser... Enfin, je n'ai jamais pu m'habituer aux humains, mais c'est là une autre de mes infirmités. Maintenant je me dépêche de te dire certaines choses et ces mots seront les derniers que tu recevras de moi. Je hais ce pays. Il m'a dévoré les entrailles. Dévoré. Je le hais. Oui, je le hais, je le hais. Une femme ne peut pas vivre avec de telles entrailles en elle. Plus j'y pense, plus j'ai envie de me vomir. Je me sens comme du vomi. J'en suis peut-être. Une femme... ce n'est pas comme un pays qui met en valeur ses ruines, ses tombes... les brade contre des devises... qui en vit. Moi je ne veux pas être un pays. Je ne suis pas un pays. Je ne veux pas être ce pays. Ce pays est nécrophile, gérontophile, coprophile, sodomite, putain, maquereau, assassin. Moi je veux être la vie, je veux vivre, je voudrais vivre, je voudrais pouvoir vivre, je serais heureuse maintenant si je voulais vivre... mais ce pays ne me laisse pas vouloir, ne me laisse pas être la vie, donner la vie. Comme un cancer il a dévoré mes seins, mon cerveau, mes boyaux, il a roulé toutes ses pierres dans mes reins et les a dévastés, il a souillé toutes les sources par où devait couler mon lait, il a rassemblé toute sa terre dans mes veines et m'a pourri le sang, il s'est posé tout entier sur mon cœur et l'a ravagé à coups d'infarctus et d'embolies, toute loi étant un infarctus, toute institution une embolie, ses coutumes m'ont démoli les poumons, son histoire me fait trembler sans arrêt tout entière comme si j'avais un parkinson, sa civilisation m'a exténuée, m'a défoncée, je n'en peux plus, sa position géographique est mon asthme, sa configuration tantôt s'allonge sur mon corps comme un zona géant et me rend folle, tantôt prend la forme d'un râteau qui se plante dans mes yeux, d'une énorme aiguille qui me perce le crâne, d'un rocher qui pend au bout de mes cheveux et m'entraîne dans une mer de larmes... et je sens toujours son joug sur ma nuque, ma langue est toujours nouée par son bégaiement, j'ai des sueurs froides en voyant sa vulgarité... son attachement à ses fantômes, ses faux-fuyants, ses plagiats, sa cervelle bloquée, ses cadavres, ses cercueils, ses crimes...

 

Ce pays est notre peste. Il nous tuera, nous liquidera. Comment échapper ? Il boit notre sang. Il ne me laisse même plus dormir, il m'a volé mon sommeil. Comment vivrai-je sans sommeil ? Nous ne vivrons pas... tout le sperme de tous les hommes de la terre ne pourrait pas ranimer ce creux de mon corps d'où part la vie humaine... Tu as vidé toute ta vie en moi mais tu m'as laissée sans vie... Toi non plus tu ne peux pas. Tu m'as ensemencée mais ta semence ne fécondera jamais, votre semence ne peut plus féconder... plus jamais la vie ne sortira de nous... Salaud de pays. Je ne souhaiterais qu'une chose, l'avoir devant moi et l'égorger de mes propres mains. Mon Dieu, si je pouvais le tuer ! Il est parvenu à ce que ses tueurs atteignent nos matrices et les creusent comme des tombeaux, les porcs, ah les porcs, c'est tous des porcs, par quel bout que je commence, tous des tueurs, tous, à cause d'eux je ressens le besoin du plus grand des crimes, d'un massacre sans fin, sans fin... ah, comment résistons-nous ici, comment ne sommes-nous pas encore devenus fous avec ce chien, ce garrot, ce strangulatorium, cette potence... avec ses égorgeurs officiels qui font des discours officiels dans des cérémonies officielles devant d'autres égorgeurs officiels... Chacun de ses pores est un stylet, chacun de ses coins un poignard, chaque millimètre de sa peau un piège, il est couvert de gluaux de mort et de couteaux tranchants, ce repaire d'assassins, d'escrocs, d'imbéciles, ce refuge de baiseurs lâches et de souteneurs impuissants, il nous fourre la tête dans sa merde, nous donne des coups de pied furieux dans les couilles, tu nous écrabouilles, salope, tu nous vides, nous ravages, nous divises, nous étrangles, tu nous condamnes, tu nous tues, fumier, vendue, ordure, pouilleuse, empoisonneuse, nœud de vipères, chienne, bohémienne incestueuse, qui ne fais que tout singer, que jacasser, calamité, diablesse, oiseau de malheur, je ne te supporte plus, je ne la supporte plus, la tueuse, l'infanticide, la tordue, la pestiférée, la boiteuse, la bigleuse, la poissarde, la vieille bique, la sale vieille, qu'il aille se faire voir, je ne peux plus rien supporter de lui, plus rien, plus rien, je le hais, je le hais, je le hais, ah, ah, je te hais, je te hais, je te hais, je te hais, je vais mourir, monstre, et je te haïrai toujours, oui, la haine bouillonne en moi, je veux écrire des hymnes contraires à ceux qu'on a écrits jusqu'à présent sur lui, le fusiller à chaque mot et l'enterrer comme un chien de mes propres mains... Je ne suis plus femme... Et toi, tu n'es plus un homme... Il nous a tout pris... Mais que restera-t-il de lui sans nous ? Que sera-t-il quand il ne restera plus rien de nous ?... Sa terre a pris ma forme... Mon corps a désormais ses dimensions... J'ai en moi son destin... Je meurs comme un pays...» (...)

 

*  *  *

  

Je meurs comme un pays

de Dimìtris Dimitriàdis

paru en 1980 aux éditions Agra

traduction française de Michel Volkovitch

parue en 1997 aux éditions Hatier

rééditée en 2004 aux Solitaires intempestifs.

 

 

Texte second: "La conscience historique"

  

  Faisons une hypothèse, qui peut paraître illusoire, extravagante ou déplacée dans le contexte des circonstances d’urgence et d’impasse actuelles, mais qui peut aussi être un bon point de départ pour ce qui va suivre…

 

Supposons que cette crise, comme on l’appelle communément sans trop y penser car on emploie un mot qui exige des explications supplémentaires, surtout beaucoup plus approfondies, supposons donc que cette crise prenne fin dans des délais très courts, et que tous les problèmes concernant les salaires, les retraites, les dettes, les taux, les banques, les citoyens, les gouvernements, etc., bref que tout ce qui constitue l’ensemble des composantes de la situation économique présente et qui la rend cruciale, dangereuse, catastrophique (trop d’exemples déjà confirment l’accroissement de désastres personnels, familiaux, collectifs – suicides, morts subites, faillites d’entreprises petites et grandes, et ainsi de suite), que tout cela trouve enfin une sortie de secours et que les choses reprennent leurs cours d’avant, en quelques mots : tout ce que le peuple (grec en particulier mais d’autres aussi) exigeait et réclamait, en manifestant dans les rues et les places publiques, en se battant avec les forces de police, pendant des mois et des mois, finalement il l’obtient.

Supposons que cela se réalise et que l’ordre financier et social soit rétabli, que tout le monde, surtout les classes les moins favorisées, soit satisfait et soulagé par cette évolution puisque personne ne se sent plus victime d’une injustice qu’il estimait ne pas mériter et dont il se sentait innocent.      

     

J’écris comme quelqu’un qui vit une pareille situation-limite de l’intérieur, moi-même pris dans le mouvement fluctuant de cette situation sans issue, et non pas comme un observateur qui aurait une position de distance, laquelle le doterait du privilège aussi bien de l’impartialité que d’une relative ignorance.

J’écris donc en étant directement concerné et fondamentalement désillusionné.

 

Tout, absolument tout, chez nous se trouve ramené sous le signe de la chute généralisée, dont les symptômes les plus évidents sont l’effondrement des organes de gouvernement, l’usure du pouvoir, la perte de la confiance du peuple dans les forces politiques, les dysfonctionnements des services publics, la menace, plus que visible, qui vise la souveraineté du pays, son indépendance nationale, et nombre d’autres défectuosités dont la somme constitue un constat d’échec beaucoup plus général et profond qu’il n’y paraît.

 

Je ne me sens pas pourtant le mieux indiqué pour décrire une situation extrêmement compliquée et contradictoire, je la dirais composée d’obscurités, de non-dits, de zones entières de la vie sociale et politique enfouies dans une sorte d’engrenage gigantesque formé de tabous, de secrets et de complexes nationaux, zones qui ont envahi et occupent aussi et en premier lieu une large partie de la mentalité et de la psychologie de la population, obstruée qu’elle est dans un mécanisme séculaire de clichés imposés par un système de valeurs et une morale prônés par l’Eglise orthodoxe qui constitue l’entrave intérieure par excellence, elle n’est pas la seule, pour la grande majorité des Grecs, toutes les générations comprises, les plus jeunes, malheureusement, non exceptées.

 

Pourtant, puisque je fais partie de ce peuple, j’expose tout ce que je ressens comme quelqu’un qui subit malgré lui une réalité précise et qui en souffre dans sa propre peau, donc d’un point de vue strictement personnel. D’ailleurs, je ne serais pas capable d’en parler autrement. Il y a déjà plus de trente ans (1978), j’ai écrit un texte intitulé Je meurs comme un pays qui depuis est considéré comme prémonitoire de la crise actuelle, et cela signifie que les raisons profondes, mais inapparentes et non avouées, de ce que nous vivons aujourd’hui, ont leur origine dans un passé qui, en réalité, remonte beaucoup plus loin, au début du XIXe siècle, à la fondation du nouvel Etat grec après la révolution de 1821.

 

Un autre texte, écrit il y a plus de dix ans (en 2000), parle, mais de façon plus directe, de ce que je considère comme étant le problème le plus crucial de la Grèce moderne : comment un peuple peut être contemporain de son époque. Voici quelques extraits de ce texte intitulé « Nous et les Grecs », en référence à Hölderlin et les Grecs, de Philippe Lacoue-Labarthe : « L’héritier songe à son héritage à partir du moment où il risque de le perdre. Le risque de le perdre ou de découvrir que l’héritage ne lui appartient pas introduit en lui-même le mécanisme de l’appropriation. Tout ce qui est considéré comme donné et sécurisé s’exclut de toute référence contemplative. (…) Donc, la constatation ci-dessus nous fait entrer directement dans la zone du danger. On entre, presque par enchaînement, dans l’altérité. (…) L’altérité est, en l’occurrence, la Grèce. La Grèce ne nous permet aucune identification à elle-même. Elle exclut l’identité. Et tous ses dérivés : l’intimité, l’affinité, la possession, la sécurité. Nous, les habitants de cette région géographique, n’avons que le droit de regarder les Grecs comme si nous leur étions étrangers. Les regarder comme s’ils étaient des étrangers. Nous-mêmes comme des non-Grecs. Considérés comme des non-Grecs, que sommes-nous ? Des habitants d’une région géographique, habitée par des gens qui ont essayé de devenir quelque chose. Leur effort et ses fruits les ont rendus Grecs. Nous ne faisons aucun effort similaire. Parce que nous croyons que nous sommes Grecs. Nous ne sommes pas Grecs. (…) La certitude rassurante que l’héritage nous appartient sans aucun doute établit la stérilité nationale comme comportement dominant, l’accrochage aux acquis comme mentalité dominante, la rumination des stéréotypes comme assurance d’une continuité. (…) On ne peut pas produire de civilisation en reproduisant le donné. (…) Nous ne sommes rien. (…) »      

  

Il est plus qu’évident que ce texte pose le problème emblématique de l’identité mais aussi celui de la créativité, car en fait celle-ci est, à mon sens, liée de façon organique, génétique, avec celle qui constitue l’unique, je crois, possibilité de renaissance de l’identité, c'est-à-dire l’altérité. Cette dernière constitue l’alternative sine qua non pour qu’un peuple, pas seulement le peuple grec, retrouve son élan créateur, et cela signifie : qu’il cherche et découvre son visage au-delà des conventions du connu et des répétitions du même. 

En faisant l’hypothèse décrite au début, je voulais arriver à ceci : si la situation actuelle, avec ses paramètres surtout économiques, trouvait une issue favorable pour toutes les classes de la population, qu’en adviendrait-il par la suite ? Quel serait le stade suivant ? L’ordre social et monétaire serait rétabli mais il ne serait qu’un rétablissement de l’ordre ancien, en fait il s’agirait d’un retour en arrière, du nouveau règne de la situation précédente, une situation qui était marquée aussi bien par une fausse prospérité, par une éclatante frivolité, par une provocante vulgarité, que par une impasse historique et par une stagnation terrifiante sur le plan de la mentalité d’un peuple qui, comme je le dis dans le texte cité, n’est rien puisque les entraves du passé, aussi glorieux soit-il ou plutôt à cause de cela, ont produit de tels lieux communs, de telles idées fixes, de tels réflexes d’autoprotection et d’automatismes personnels et collectifs d’une telle envergure, que ce peuple est aujourd’hui, un très long aujourd’hui, condamné à n’être que le répétiteur passif de ces stéréotypes, exclu par lui-même de l’effort qui conduit un peuple à se créer lui-même.

 

Ce retour en arrière, ce refuge et ce recours à la situation d’avant la crise, représente pour moi le plus grand danger, la menace la plus désastreuse, et provoque en moi la plus grande peur, un désespoir total. Car il s’agirait non seulement d’un retour à la nonchalance intellectuelle précédente, à l’inconscience de bons viveurs se régalant dans un climat touristique à perpétuité et à l’absence de toute référence qui irait au-delà des limites de la médiocrité et du trivial, au mimétisme et à l’atavisme les plus stériles, et à la confusion mentale la plus obscure et la plus réactionnaire, à une autosuffisance et à une plongée dans l’insignifiance et le conservatisme – les exceptions à tout cela sont bien évidemment en nombre pas du tout insignifiant mais il s’agit d’une minorité qui souffre de la domination castratrice de la grande majorité ; il s’agirait aussi et en tout premier lieu d’un retour en arrière voulu, exigé avec la même ferveur que l’amélioration du niveau  matériel de vie. Et justement, ce niveau de vie est pour la grande majorité identifiée à la suffisance intellectuelle et la médiocrité existentielle, à la passivité mentale et à l’hypnose sentimentale, à la mort des sens et de l’esprit.

  

Je dois le dire franchement : derrière les voix – les exceptions sont encore une fois extrêmement rares – qui s’élèvent aujourd’hui massivement pour le rétablissement, à juste titre d’ailleurs, d’une mauvaise tournure sociale et économique, personnellement j’entends un cri persistant qui dit : « revenons à ce qu’on connaît déjà, retournons à nos habitudes mentales et sentimentales, regagnons nos places et nos intérêts d’avant, gardons intacts nos acquis, nous ne voulons pas de nouveaux champs d’expériences intellectuelles et artistiques, conservons ce qu’on a déjà appris, cela nous suffit, soyons ce que nous étions il y a deux ou trois ans, deux ou trois siècles, deux ou trois millénaires, restons les mêmes, nous ne désirons que notre confort matériel et moral, nous voulons exactement tout ce qu’on avait auparavant, sans rien de changé, surtout en nous-mêmes mais aussi entre nous et les autres, que l’ordre ancien soit rétabli, rien de plus ne nous intéresse, nous ne désirons qu’une chose : continuer à vivre sans trop nous tracasser le cerveau, c’est avec cette mentalité-là que nous exigeons de continuer à vivre nous-mêmes et nos enfants ».

 

Ce dont parlaient aussi bien Je meurs comme un pays que Nous et les Grecs n’était que la fin d’un cycle historique, et la conscience qu’on en a ou qu’on n’a pas. Le « pays  meurt » parce qu’il n’accepte pas l’autre, celui qu’il considère comme étranger et son ennemi mais qui en réalité est son nouveau visage, sa nouvelle identité puisque l’ancienne est morte ; « il meurt » parce qu’il ne veut pas voir et assumer la spécificité du moment historique, et préfère poursuivre son chemin comme si rien n’était intervenu entretemps. Il vit dans l’illusion historique d’une immortalité immuable, et il en meurt.

 

Cet aveuglement, qui concerne plusieurs autres pays – la Grèce, dans ce cas, serait l’initiatrice, l’inspiratrice, d’une autre époque dans l’histoire de l’humanité, mais le veut-elle ? le peut-elle ?–,  cet aveuglement constitue, pour moi, la raison profonde et déterminante de la crise qui est en fait universelle. Lorsque l’économique devient le facteur dominant, il supprime toute autre dimension qui n’est pas la sienne, en premier lieu la dimension politique – et par politique on entend la réflexion sur la communauté humaine et les efforts de l’invention pour rendre cette communauté le mieux possible vivable, en posant toujours les questions les plus osées et les plus fertiles, donc en pratiquant la recherche de l’inconnu.

 

Dans ce cadre, la recherche de l’identité n’est pas une recherche secondaire, surtout aujourd’hui où cette identité ne peut avoir que des aspects planétaires. Les traditions locales ont déjà épuisé leurs ressources et apporté aux peuples tout ce qu’elles pourraient apporter. L’identité, qui est une composante fondamentale de la personne humaine, ne pourrait en être une que dans le sens le plus audacieux et le plus profond du mot « humain » ; il s’ agit d’une recherche qui concerne tous les peuples dans ce qu’ils ont de plus inépuisable, de plus intime, et qui pourrait devenir le facteur le plus dynamique d’une solidarité planétaire. Pourtant, il faut que cela soit exigé par les peuples eux-mêmes, et plus particulièrement par les individus qui composent ces innombrables populations, en fait par chaque être humain séparément.

 

La prise de conscience qu’un cycle historique a terminé son parcours, et qu’en réalité on est déjà au-delà de ce point terminal, est d’une importance primordiale. J’aimerais ne pas être obligé de le dire mais je ne peux pas l’éviter : je crois que cette prise de conscience n’est pas du tout ce que la plupart des citoyens, grecs ou autres, ont comme point de départ ou comme priorité de leur réflexion et de leurs besoins ; je crains que cette prise de conscience historique constitue une préoccupation  moins que secondaire pour la grande majorité, et que la préoccupation de loin la plus pressante et finalement dominante est celle de l’assurance de leur niveau de vie, autrement dit toujours le bien-être matériel, qui d’ailleurs n’est pas du tout sans importance – il faut indubitablement que l’humanité soit vivante et bien vivante pour avoir par la suite des exigences autres, mais je suis certain que ces dernières ne sont que très minimes ou bien, encore pire, inexistantes.

  

On a de partout des signes plus que convaincants que la classe politique ne peut plus offrir des dirigeants compétents et dignes de se hisser au niveau critique et extrêmement difficile de la situation actuelle ; elle est aussi incapable de représenter un autre penchant de la nature humaine : seuls des gens qui ne sont pas dépendants de leur réélection, de leurs privilèges, seuls des gens d’une autre stature et d’une autre humanité pourraient déclencher chez leurs peuples le mécanisme d’une pareille prise de conscience ; pourtant même une telle perspective doit nous mettre sur nos gardes car les exemples du passé récent ne confirment pas suffisamment le bien-fondé de cette attente, et toute expectative vers cette direction-là doit être mise sous le contrôle le plus strict : il est préférable ne pas être bien gouvernés que de l’être par des personnes qui rendraient leur gouvernement exécrable et funeste à cause de leur charisme même.

 

Je reviens donc, pour finir, à cette question de l’identité pour laquelle je n’envisage d’autre perspective, dans le sens de l’altérité, que celle de la création, principalement de la création artistique, la perspective la plus humaine et la plus interhumaine par excellence.

  

Je ne pense pas seulement à cette phrase de Thomas Mann dans un discours prononcé en 1949 : « Si je n’avais pas le refuge de l’imagination, les jeux et les distractions de la fabulation, de la création, de l’art, qui m’invitent à connaître sans cesse de nouvelles aventures et de nouvelles tentatives enthousiasmantes, et m’incitent à continuer, à progresser – je ne saurais que faire de ma vie, sans parler de donner des conseils et des leçons aux autres », bien qu’elle contienne le maximum de désenchantement et de maturité ; je pense également à ce que j’essayais de formuler dans Nous et les Grecs : « Pour qu’un peuple soit créatif, il doit vivre l’absence de celui qu’on lui a fait croire qu’il était. Et il faut créer les moyens avec lesquels il couvrira l’absence. C’est ainsi qu’on crée des civilisations. Avec le remplissage du vide. Remplissage irréalisable. Mais c’est l’irréalisable qui constitue l’effort réel. Le remplissage irréalisable du vide et de l’absence. Tout autour de nous crie que ce qu’on a, on l’a indubitablement, que ce qu’on est, on l’est indubitablement. La définition du pittoresque et de l’intelligence bornée. Nous n’avons rien et nous ne sommes rien. Dans ce rien, l’annonce la plus réjouissante est prononcée, l’unique réelle annonciation. Que dit-elle ? Elle dit : voilà le vrai départ, en route, tout est possible, dépiégez-vous, désengagez-vous, osez le dégagement des mensonges et des masques, n’ayez pas peur, il y a aussi d’autres personnes et d’autres narrations, passez des stéréotypes à la boue brute, du regard glacial au regard qui plonge dans l’abîme. Formez le feu. Terrible exigence. Elle demande de la créativité. Du risque. De l’audace. Elle demande de la vie. »

 

« Elle demande de la vie ». Voilà le noyau de la crise… Le fond atomique et nucléaire de ce qui est en train de se passer.

 

« Austérité », en grec ancien «λιτότης» signifie le pur, le simple, le franc, l’honnête, l’évident, le clair. A partir du moment où sont prises par les gouvernements en place des « mesures d’austérité » pour combattre la situation désastreuse, on voit bien qu’au lieu que l’austérité soit le remède, plus que cela : le mode de vie ordinaire, elle est devenue une punition, une sanction, une alternative à éviter, à ne pas du tout suivre, à haïr, à exécrer, c'est-à-dire mettre en pratique le mode de vie qui régnait et règne toujours depuis plus que trente ans par exemple en Grèce avec une accélération affolante, en plein régime soi-disant « socialiste » – rien de plus criminel que ce faux progrès-là promu et idéalisé par les détours et les discours d’ un populisme à vous faire vomir, avec une boulimie incontrôlée et insensée sur tous les plans du comportement intime et public.

 

Voilà un exemple, ici au niveau de la langue, de la monstrueuse déformation de ce qu’a été, et continue à être, la Grèce. Les principes les plus évidents, l’intégrité du sens des mots, tout ce qui concerne l’intériorité et l’expression humaines dans le monde moderne, la pensée, l’amour, tout contact entre des êtres humains, fut bafoué, spolié, ridiculisé, surtout abaissé, mal compris, mal exécuté ; seuls prospéraient les préjugés et les stéréotypes les plus obscurs, seules prédominaient les idées périmées et les conceptions datées, seules les « valeurs » qui conservent  et renouvellent l’intolérance, l’opportunisme, la bêtise, les fixations automatiques à une tradition incomplètement assimilée et encore plus faussement interprétée, et cela la rendait, au lieu d’un moyen et d’un terrain de renouveau, un terrible et tyrannique obstacle pour tout progrès, pour toute réflexion sérieuse, pour toute véritable prise de conscience de ce qu’on est en tant que peuple. Toujours et sans arrêt un étouffement moral, un obscurantisme sauvage qui ne reculent devant aucun mouvement qui préfigurerait une certaine sortie de cette caverne où seules les ombres dominent, les ombres des morts.

  

La Grèce fut pendant longtemps, et est toujours, gouvernée par la Mort.

 

Il faut renverser cela, ou plutôt : l’inverser. Car il est plus qu’évident, du moins pour un certain nombre de gens, qui sont beaucoup plus nombreux qu’on ne l’imagine, que cela constitue une évidence flagrante. Cette évidence, la voici : il est presque mathématiquement certain que, une par une, les composantes du visage de la Grèce actuelle ne sont presque toutes que des erreurs imposées par une mentalité pervertie par des siècles de fausses interprétations de la nature humaine. C’est sur la nature humaine que cette procédure criminelle a trouvé son terrain fécond pour y exercer toutes ses manipulations. Et voilà où on est : un pays qui a peur de sa propre vérité, une population qui a intériorisé toutes les règles et tous les choix fournis par un système éthique qui est contre la vie, contre la complexité, la profondeur et l’immensité de la vie. Cette intériorisation est à mon avis le point le plus critique et le plus dramatique auquel doit être donnée la priorité pour tout ce qu’on entreprend pour expliquer et surtout pour dépasser la crise. 

 

La question qui vient maintenant est aussi cruciale et pénible que la réalité qui la rend possible : veut-on poursuivre notre route sur cette priorité ? Veut-on avancer en ayant celle-ci comme fil conducteur ? Veut-on ne pas camoufler, ne pas mystifier, encore une fois l’aspect odieux de la période d’avant la crise, ne pas s’aveugler de nouveau et ne pas se conformer à tout ce qui au fond et réellement constitue les raisons véritables de l’actuelle annihilation ? Veut-on prendre conscience de la réalité historique et faire de cette conscience un acte réfléchi pour aller vers un ailleurs qui ne sera que le produit de notre humanité consciente ?

Bien sûr, il faut toujours tenir compte des limites et des faiblesses de l’être humain, de nos peurs devant les maladies et la mort.

 

Pourtant, ce qui est demandé ici, seuls des êtres humains peuvent l’assumer et l’accomplir.

Si, néanmoins, gagne en fin de compte le retour en arrière, si les hommes trouvent encore une fois un subterfuge devant les exigences de ce moment de l’histoire et se donnent un alibi pour se permettre encore une fois un choix de lâcheté et de trahison, je ne m’en étonnerais pas ; mais si, par malheur, cela arrive, je considère dès à présent ce que je viens d’écrire comme n’ayant aucune nécessité et aucun sens. 

    

*  *  *

 

« Echapper à l’obsession de la crise, se redonner une identité. C’est tourner le dos aux images d’antan, c’est retrouver l’élan créateur. » Par Dimitri Dimitriadis, écrivain, poète et homme de conscience.

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20 juillet 2012 5 20 /07 /juillet /2012 09:49

Gendarmerie : une nouvelle méthode d’interrogatoire...

  

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Le secret de cette technique d’audition qui vient d'être adoptée par la Gendarmerie nationale : Laisser parler le suspect...

   

Baptisée Progreai (Processus général de recueil des entretiens, auditions et interrogatoires), cette nouvelle méthode d’interrogatoire est directement inspirée d’une technique canadienne, élaborée par le criminologue Jacques Landry. Auparavant, les enquêteurs canadiens obtenaient des aveux une fois sur deux en moyenne. Avec cette nouvelle méthode, le taux d’aveux atteint 80% à 90% alors que la durée de la garde à vue est plus courte qu’en France.

  

Le secret de cette méthode consiste à laisser parler le suspect. Actuellement, l'enquêteur parle 70% du temps de la garde à vue. La méthode Progreai a pour objectif de laisser parler la personne auditionnée. L’enquêteur instaure une conversation à bâtons rompus sur des sujets apparemment éloignés des faits. En évoquant sa famille, ses amis, son travail ou ses passions du suspect, le suspect va inconsciemment révéler des traits de sa personnalité très précieux.

    

"Laisser parler la personne, c'est lui permettre de révéler progressivement qui elle est", explique Bénédicte Soulez, psychologue de la Gendarmerie nationale. 

 

 

Dans une deuxième phase, le suspect est invité à raconter librement sa version des faits, sans contradiction. Au cours d’une troisième phase, l’enquêteur conforte le suspect dans sa version, en lui demandant de préciser un maximum de détails, de plus en plus précis. Les contradictions et les invraisemblances finissent alors par apparaître dans la plupart des cas. Au Canada, l’expérience montre que c'est souvent à cet instant de la garde à vue que les enquêteurs obtiennent des aveux.

  

Cette méthode diffère sensiblement des interrogatoires souvent très hachés, où il faut constamment s’interrompre après chaque question et chaque réponse pour taper sur un PV. Beaucoup plus fluide, la méthode canadienne ressemble à une conversation qu’il n’est pas nécessaire d’interrompre puisque outre-Atlantique, tous les interrogatoires sont filmés.

  

Les gendarmes parient que cette procédure judiciaire à l'anglo-saxonne sera un jour mise en place en France. C'est pour cette raison qu'ils commencent à adopter cette méthode d’interrogatoire et à former leurs enquêteurs. Ils comptent également utiliser cette technique pour les auditions de victimes et de témoins, pour les aider à se confier et à donner le plus de détails possible.


http://www.europe1.fr

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26 juin 2012 2 26 /06 /juin /2012 13:37

A l'heure ou les centres de "bien-être" se substituent à la médecine et aux anciens cultes, et proposent aux masses de nouvelles normes à respecter sans aucune réflexion profonde, Marie Lemonnier du Nouvel-Obs nous délivre un message de Nietzsche à travers cet entretien monté à partir des ouvrages du poète allemand:

 

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"Le bonheur est comme est une femme. Si vous le poursuivez, il s'enfuit ; si vous l'ignorez, il accourt." Entretien presque authentique avec Friedrich Nietzsche:

 

Le Nouvel Observateur . - Fuir la douleur est le mot d'ordre de toute la philosophie antique, comme celui de votre ancien maître Schopenhauer. Partagez-vous cette idée?

  

Friedrich Nietzsche. - Non. Pourquoi rejeter absolument de notre existence le malheur, les terreurs, les privations, les minuits de l'âme? Il y a une «nécessité personnelle du malheur» et ceux qui veulent nous en préserver ne font pas nécessairement notre bonheur. Et si le plaisir et le déplaisir étaient même si étroitement liés que quiconque veut avoir autant que possible de l'un doit aussi avoir autant que possible de l'autre? Car le bonheur et le malheur sont des frères jumeaux qui grandissent ensemble. Demandez-vous si un arbre qui est censé atteindre une noble hauteur peut se dispenser de mauvais temps et de tempêtes. Pour qu'il y ait la joie éternelle de la création, il faut aussi qu'il y ait les douleurs de l'enfantement. Toutes les vies sont difficiles; ce qui rend certaines d'entre elles également réussies, c'est la façon dont les souffrances ont été affrontées.

  

N. O. - Les stoïciens invitaient eux aussi à «tenir bon» face aux coups durs de l'existence.

 
F. Nietzsche. - C'est très différent. Le stoïcisme proposait un genre de vie pétrifié. Pour ma part, je parle d'intensifier le sentiment d'existence, en apprenant à en connaître tous les aspects, même les plus terrifiants.

 

N. O. - L'homme du XXIe siècle semble davantage aspirer à la sécurité et au bien-être.

 
F. Nietzsche. - Ah, la religion du bien-être! Voilà l'idéologie du troupeau. Les hommes disent: nous avons inventé le bonheur; ils en ont fait une valeur universelle, mais quel est leur bonheur? Une aspiration servile au repos. L'homme moderne a renoncé à toute grandeur et n'aspire plus qu'à vivre confortablement, le plus longtemps possible. Il est semblable à un puceron hédoniste, il a en aversion le danger et la maladie. Il poursuit un bonheur mesquin et étriqué. La société de consommation l'asservit aux petits plaisirs. Il voue un culte aux loisirs. Mais si l'on flatte de façon aussi éhontée la propension naturelle à la paresse, c'est dans le dessein non avoué d'affaiblir la volonté, de la rendre incapable d'une application durable. Il s'agit d'anesthésier la vie plutôt que de la vivre. Aussi ne faut-il pas s'étonner si la plupart des hommes d'aujourd'hui se liquéfient face à la plus infime épreuve.

 

N. O. - Quel est votre définition du bonheur?

  
F. Nietzsche. - Le sentiment que la puissance grandit, qu'une résistance est surmontée. L'homme qui est incapable de s'asseoir au seuil de l'instant en oubliant tous les événements passés et à venir, celui qui ne peut pas, sans vertige et sans peur, se dresser un instant tout debout, comme une victoire, ne saura jamais ce qu'est un bonheur et, ce qui est pire, il ne fera jamais rien pour donner du bonheur aux autres.

 

N. O. - Quels conseils prodigueriez-vous aux hommes en quête de félicité?

   
F. Nietzsche.
- A l'individu qui recherche son bonheur, il ne faut donner aucun précepte sur le chemin à suivre, car le bonheur individuel jaillit selon ses lois propres, inconnues de tous, il ne peut qu'être entravé par des préceptes venus du dehors. Le vrai secret du bonheur, c'est qu'on ne peut l'atteindre qu'en cessant de le chercher. Il est comme est une femme. Si vous le poursuivez, il s'enfuit; si vous l'ignorez, il accourt (sourire). Au fond, l'important, ce n'est pas le bonheur, qui n'est qu'une idée, mais la vie réelle que nous avons à expérimenter. Amor fati, aime ton destin. C'est ma formule du bonheur. Le philosophe ne doit pas cacher la nature tragique du monde, il doit l'enseigner au contraire, et la seule manière de nous libérer, c'est d'aimer ce qui nous advient. Il faut briser les anciennes tables de la Loi, nous dégager des valeurs chrétiennes mortifères, penser par-delà le bien et le mal. Nous devons être les poètes de notre existence, inventer notre vie, la vivre! La vraie sagesse, ce n'est pas de rechercher le bonheur, c'est d'aimer la vie, heureuse ou malheureuse.

 

N. O. - Vous-même avez beaucoup souffert, physiquement et affectivement - votre histoire d'amour douloureuse avec Lou Andreas-Salomé est légendaire. N'avez-vous jamais désespéré de la vie?

 
F. Nietzsche.- Jamais! Même dans les moments où j'ai été gravement malade, je ne suis pas devenu morbide. La vie ne m'a pas déçu! Année après année, je la trouvais au contraire plus vraie, plus désirable et plus mystérieuse. Pour moi, elle est un monde de danger et de victoire dans lequel les sentiments héroïques aussi ont leurs lieux où danser et s'ébattre. Avec ce principe au coeur, on peut non seulement vivre courageusement, mais même gaiement vivre et gaiement rire! Et qui donc s'entendrait à bien rire et à bien vivre s'il ne s'entendait d'abord à guerroyer et à vaincre ?

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14 juin 2012 4 14 /06 /juin /2012 10:51

SDF, chômeur au RSA, mère célibataire au smic, couple pris dans la spirale du surendettement… La pauvreté a de multiples visages qui sont loin de s’appréhender uniquement par les revenus !

  

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« Écoutez, j’ai des cas qui sont bien plus graves que le vôtre. »


« J’ai bientôt 50 ans et je vis dans ma voiture ! »

 

La réplique de Louise Wimmer à l’assistante sociale est cinglante. Louise Wimmer, l’héroïne du film éponyme de Cyril Mennegun (2012), est femme de ménage dans un hôtel. Malgré ce travail, impossible pour elle de se loger. Elle dort à l’arrière de sa voiture, sur un parking ou une aire d’autoroute. Pour se nourrir, se laver, trouver du carburant, elle vit du système D, d’entraides, et de menus larcins. À travers ce portrait de femme dont la situation a dégringolé, C. Mennegun dépeint une misère habituellement peu visible dans sa réalité quotidienne.


 

« Dans le besoin », 
« en difficulté », « endetté »…


  

Pourtant, la pauvreté, beaucoup l’ont déjà frôlée. Que l’on ait peine à rembourser un crédit, que l’on se demande comment finir le mois avec si peu, que l’on croise un homme qui dort sous un porche ou mendie un Ticket-Restaurant, et l’on se retrouve nez à nez avec la précarité, ou son spectre. Des stéréotypes sur lesquels s’appuient à l’envi les discours politiques, tantôt pour fustiger un modèle de société qui produit des exclus, tantôt pour dénoncer la logique d’« assistanat » des politiques publiques, regrettant parfois la présence renforcée de l’État, parfois son désengagement. La pauvreté est une catégorie porteuse de stigmates. Si une majorité de personnes pensent appartenir à la classe moyenne, très peu se déclarent ouvertement pauvres. Elles sont « dans le besoin », « en difficulté », ou « endettées ». Les pauvres, se dit-on comme pour se rassurer, ce sont les autres. Ceux qui n’ont même pas le peu que nous avons.


 

Au-delà des représentations, comment mesurer objectivement la pauvreté ? Son évaluation dépend, comme toute mesure statistique, des outils que l’on utilise. En Europe et en France, le seuil de pauvreté monétaire correspond actuellement à 60 % du revenu médian. Le revenu médian étant celui qui coupe en deux parties égales la population, une moitié ayant des revenus supérieurs, l’autre moitié des revenus inférieurs, le seuil est fixé à 954 euros (pour les revenus de 2009) par mois pour une personne seule. Jusqu’en 2008, avant l’harmonisation européenne des instruments de mesure, la France établissait le seuil de pauvreté non à 60 % mais à 50 % du revenu médian.


 

Mesurer la pauvreté


  

Une différence statistique de taille puisqu’elle fait passer le seuil de pauvreté de 795 à 954 euros, et le nombre de pauvres de 4,4 à 8,2 millions de Français. Le directeur de l’Observatoire des inégalités, Louis Maurin, est critique envers le seuil de pauvreté établi à 60 % du revenu médian. Pour lui, « cette conception extensive de la pauvreté est lourde d’effets pervers. (…) On incorpore dans la pauvreté des situations sociales très diversifiées, qui vont de ce que l’on appelait il y a quelques années le “quart-monde” aux milieux sociaux très modestes ».


 

D’autres modes de calcul permettent de mesurer le seuil de pauvreté de manière différente. Aux États-Unis, par exemple, l’indicateur de pauvreté est construit non pas relativement aux inégalités de revenus, mais de manière absolue sur la base d’un panier de biens et de services (logement, vêtements, nourriture, etc.) auquel chacun devrait avoir accès. Le gouvernement français utilise quant à lui un troisième outil pour calculer la pauvreté : le seuil de pauvreté ancré dans le temps. Basé sur le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian d’une année donnée (par exemple 2006), le seuil de pauvreté est ensuite réactualisé d’année en année par rapport au seul taux d’inflation. Un calcul qui permet d’établir le seuil de pauvreté non plus à 954 euros mais à 915 euros et de réduire le nombre de pauvres, au regard de l’objectif gouvernemental de « réduction d’un tiers en cinq ans de la pauvreté ». Des batailles de chiffres qui ne tiennent pas compte des populations à risque, ceux qui ne sont pas précaires au vu des seuils, mais pourraient le devenir au moindre changement de situation : deuil, divorce, perte d’emploi ou maladie.


 

Les statistiques de la pauvreté cachent une pluralité de situations. Johanna a 29 ans. Ouvrière à la chaîne dans le Nord-Pas-de-Calais, elle élève seule sa petite fille de 6 ans. À la journaliste Catherine Herszberg, elle raconte : « Ça fait huit ans que je suis à l’usine. Avec les primes d’ancienneté, je me fais 1 300 euros ; qu’est-ce que vous voulez qu’on fasse avec 1 300 euros une fois qu’on a payé le loyer, les crédits – tout le monde a des crédits –, la nourriture, la cantine, les habits de l’enfant, la facture d’eau, la facture de gaz, la mutuelle, les assurances ? Il reste rien. Je pars pas en vacances, je peux pas . »

 

Avec 1 300 euros, Johanna se situe légèrement au-dessus du seuil de pauvreté (à 1 240 euros pour une famille monoparentale avec un enfant). Comme elle perçoit une pension alimentaire de 50 euros, elle ne peut pas prétendre au revenu de solidarité active (RSA)* qui remplace, depuis 2009, l’allocation parent isolé. Les familles monoparentales, composées à 85 % de mères célibataires, sont très fragiles. Un seul salaire, un emploi parfois à mi-temps et des charges incompressibles conduisent une famille monoparentale sur trois à vivre dans la pauvreté. 


 

Christine, 54 ans, vit seule. Lorsque son mari décide de divorcer, elle doit « continuer à rembourser le prêt (de leur maison). Aux mêmes conditions, mais seule.  » Elle contracte un premier crédit à la consommation pour l’aider à terminer les fins de mois. Puis un deuxième pour rembourser le premier. Et un troisième pour remplacer sa voiture tombée en panne. « Je gagne 2 000 euros par mois, explique-t-elle. Une fois que j’ai remboursé mes mensualités pour les crédits, il me reste 100 euros pour l’essence, l’électricité, l’assurance et de quoi manger. Quand j’ai pris un quatrième crédit, on me l’a donné les yeux fermés, alors que je ne m’en sortais déjà plus. » Propriétaire d’une maison estimée à 430 000 euros, elle se refuse à la vendre pour rembourser ses dettes. «  Je rembourse cette maison depuis vingt ans, ce n’est pas pour tout laisser tomber. Cette maison, c’est la seule chose qui me tient debout. Tout ce que je veux, c’est la garder. »

 

L’argent de la vente de sa maison ne parviendrait d’ailleurs qu’à rembourser les dettes de Christine, et la laisserait sans toit. Le travail ou la propriété d’un bien immobilier, considérés autrefois comme les signes d’appartenance à la classe moyenne, ne font plus nécessairement rempart contre la pauvreté. Dans les années 1990, on voit apparaître le concept de « travailleur pauvre ». Les salaires trop bas, les temps partiels répandus font des travailleurs des individus menacés. Et lorsqu’un seul membre pourvoit à l’essentiel des revenus, la famille risque à tout moment de basculer dans la précarité.


 

« Heureusement que Coluche a créé les Restos du cœur »


  

Entre une mère célibataire qui gagne le smic, un chômeur au RSA et un sans domicile fixe, peu de traits communs sinon la difficulté de profiter de ce que l’économiste Amartya Sen appelle les « capabilités » . L’individu est considéré comme pauvre, selon A. Sen, dès lors qu’il est dépourvu de la possibilité d’accéder à certains biens ou services. Si un faible revenu constitue un obstacle majeur à la liberté (de consommer, de sortir, de prendre des vacances, de se soigner), il n’est cependant pas le seul. Le handicap, la maladie, l’absence de diplôme ou de lien social constituent d’autres limitations aux capabilités, d’autres signes de pauvreté. La théorie d’A. Sen permet ainsi de prendre en compte la diversité des causes de l’inégalité des individus dans les situations de pauvreté. Il ne suffit pas qu’un individu possède ce que le philosophe John Rawls nomme les « biens premiers » (un certain revenu, la liberté d’expression, les bases sociales du respect de soi, etc.) si, à cause de son caractère, de son état de santé, ou de son éducation, il n’est pas capable de jouir de ces biens comme tout un chacun.


 

Difficile donc de lutter efficacement contre la pauvreté sans prendre en considération cette multiplicité de facteurs. Le RSA, en vigueur depuis 2009 (en lieu et place du RMI), tente de remédier à la fois à la situation des chômeurs et des travailleurs pauvres. Le RSA « activité » apporte en effet aux travailleurs un complément de revenu, explique le sociologue Nicolas Duvoux, « destiné à accroître la différence entre ce qu’ils touchent par leur travail et ce qu’ils toucheraient avec la seule assistance  ». Une manière, selon lui, de favoriser le « développement des inégalités sociales, promues comme un moteur de l’activité individuelle et de l’émulation sociale ». Le recours au seul RSA « socle » (ancien RMI) est souvent considéré comme dégradant par les allocataires. Ceux-ci sont alors entachés du soupçon d’être des « assistés » qui tirent profit de leur statut, préférant l’oisiveté au travail. Un soupçon aux effets délétères sur la cohésion sociale.

 

Les associations caritatives, comme le Secours populaire ou les Restos du cœur, ont, quant à elles, pris une importance telle qu’elles ne sont plus seulement une solution d’urgence mais occupent une place structurelle laissée vacante par des politiques publiques insuffisantes. « Il suffit de peu de chose pour tomber, assure Pierre-Marie, agriculteur âgé de 45 ans. (…) Maintenant j’ai l’impression que c’est chacun pour sa peau. Heureusement que Coluche a créé ces fameux Restos du cœur. Moi, j’y viens pour la quatrième année consécutive . »

 

-Article de Céline Bagault- www.scienceshumaines.com-

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