2 janvier 2015 5 02 /01 /janvier /2015 15:25

Il y a "deux moments" douloureux et importants pour les enfants lors du divorce de leurs parents : la période de 3 à 6 ans, et surtout l'adolescence, sont annonciatrices de difficultés lourdes pour leur vie sociale future.

 

Près d'un mariage sur deux se termine par une rupture. (Illustration).
Près d'un mariage sur deux se termine par une rupture. (Illustration). Crédits photo : PASCAL GUYOT/AFP. 
  

Selon une étude de l'Union des familles en Europe, 48 % d'entre eux affirment que la séparation a perturbé leur vie amoureuse. 

 

A l'heure de la banalisation du divorce, la souffrance des enfants a-t-elle été oubliée ? Alors que 2,9 millions de mineurs vivent avec un seul parent et que près d'un mariage sur deux se termine par une rupture, il s'agit de «réussir son divorce» et de «préserver le couple parental».

 

Un credo illusoire, selon l'Union des familles en Europe.«Comment vit-on vraiment le divorce de ses parents ?», s'est interrogée l'association, qui prône la défense des intérêts des familles et souhaite contrebalancer les thèses actuelles sur le «divorce heureux».

 

Dans une enquête, elle a posé la question à 1137 personnes, âgées de 18 ans à plus de 56 ans, «victimes» d'une rupture parentale.

 

Pour l'écrasante majorité (88 %), cette séparation a eu des effets à long terme sur leur personnalité. Certains disent avoir peur d'être abandonné, manquer de confiance, souffrir de dépression. «J'ai un sentiment de culpabilité étouffant», se plaint un sondé. «J'ai peur que tout s'écroule du jour au lendemain», ajoute un autre. «Je ne fais pas confiance aux hommes», constate une troisième. Quelques éclaircies nuancent néanmoins ce tableau. «Je sais m'adapter à toutes les situations», «cela m'a permis de mûrir plus vite», avancent les plus optimistes.

  

Couple déchiré, enfant otage (partie 1):

  Ils se mettent à hurler quand leur père leur rend visite, déversent des flots d'injures sur la mère qu'ils ne veulent plus voir, frappent parfois l'un ou l'autre sans raison.

Ces enfants déchirés par le divorce sont victimes d'un syndrome peu connu : l'aliénation parentale. Il s'agit de la manipulation d'un enfant par son père ou sa mère, afin de transformer l'autre parent en un être néfaste et détesté ; une forme de soumission inconsciente, similaire à ce que l'on retrouve dans les sectes ; l'enfant devient alors un outil de guerre pour détruire l'ex-conjoint...

Ce phénomène est tellement sournois et inconcevable qu'il est très difficile à détecter. Combien de juges, de travailleurs sociaux ou de policiers se sont laissé berner par l'attitude d'un enfant pris entre les murailles invisibles de l'aliénation parentale ?

Ce film remet en question des générations de certitudes éducatives. Il parle de l'enfant victime, l'enfant sacrifié et utilisé comme un objet au nom de la haine et de la destruction de l'ex-conjoint.
 

«Le divorce a rendu une poignée d'entre eux plus coriaces. Mais c'est presque devenu un tabou de dire que les enfants souffrent énormément du divorce de leurs parents, s'insurge Dominique Marcilhacy, porte-parole de l'association, aujourd'hui, tout le monde défend la même thèse : si les parents vont bien, les enfants vont bien. Tenir un autre discours serait trop culpabilisant. Avec plus de 55 % de divorces prononcés par consentement mutuel, on entretient le mythe du divorce heureux.

 

Mais cette procédure ne règle en rien les conflits des parents.» Comme le soulignait le sociologue Paul Archambault dans une enquête pour l'Ined publiée en 2002, le séisme du divorce joue aussi un rôle dans la réussite scolaire des enfants. «La durée des études est réduite en cas de dissociation parentale» , relevait le chercheur. Ce sondage tend à le confirmer. 56 % des personnes interrogées évoquent des études écourtées, des conditions matérielles peu propices à la course aux diplômes ou encore des difficultés de concentration.

 

Pour 41 % d'entre eux, l'onde de choc se répercute jusque dans leur vie professionnelle. Les plus pressés de s'extraire de la vie familiale ont pris le premier travail venu. Les plus affectés disent qu'ils traînent encore leur manque de confiance au bureau. Quelques-uns ont fait le choix d'un métier de «réparation», comme la médiation, pour panser leurs propres blessures.

 

 

Certains s'en sortent très bien, mais plus laborieusement !

 

Enfin, 48 % des personnes interrogées projettent l'ombre de la séparation jusque dans leur propre vie sentimentale. «Beaucoup rêvent d'une union solide et, paradoxalement, peinent à s'engager» , selon le pédopsychiatre Stéphane Clerget. Si la détresse des enfants de divorcés ne fait plus les gros titres, elle se confesse plus en plus souvent dans les cabinets de pédopsychiatres. «Le nombre de consultations autour de la question du divorce a explosé depuis une quinzaine d'années, souligne Stéphane Clerget. Désormais, les rendez-vous ont même lieu en amont de la séparation.» Les enfants vont-ils mieux pour autant ? «Certains s'en sortent très bien. Pour cela, il faut avant tout qu'ils gardent le lien avec leurs deux parents et que des derniers arrêtent de les impliquer dans leurs disputes» , résume Stéphane Clerget.

   

Une ligne de conduite apparemment difficile à tenir. 40 % des sondés indiquent ne pas avoir maintenu de lien régulier avec le parent qui n'avait pas la garde, généralement le père.

 

Quant aux querelles, elles ont la vie dure. 61 % des ex-conjoints continueraient à ferrailler sur la question sensible de la pension alimentaire. Dans cette ambiance, près de la moitié des enfants de divorcés avouent qu'ils ont dû faire un choix affectif entre leurs deux parents. Plus des deux tiers ont entendu leur père ou mère refaire régulièrement le procès de l'absent. Un souvenir cuisant. «Ne pas dénigrer l'autre parent et tenir l'enfant à l'écart des disputes» : c'est la leçon qu'ils retiennent tous de cette expérience malheureuse.


Par Agnès Leclair pour Le figaro.fr

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Published by Trommenschlager.f-psychanalyste.over-blog.com - dans Dossier Actualité-sociologie
2 janvier 2015 5 02 /01 /janvier /2015 12:00

Les violences urbaines qui secoue l’Hexagone ont été à chaque fois l’occasion d’une demande supplémentaire de moyens sécuritaires, de forces de l’ordre et de fermeté dans les décisions. De nouveau, l’exploration et la recherche d’explications et de solutions tend à se limiter à une volonté de saisir et de faire disparaître les symptômes, sans s’interroger sur les causes profondes !

 

 Graphique Insee.fr - Les lieux à risques

 

" L’enjeu est de taille : soit nous continuerons à rechercher dans des causalités internes à la jeunesse l’explication de ses comportements et de ses violences et nous déboucherons inévitablement sur une demande toujours accrue de sécuritaire et de répression ; soit nous interrogerons les fondements économiques, sociaux et culturels de notre société et nous déboucherons sur l’exigence d’une transformation sociale globale. Nous pensons, en ce qui nous concerne, que la crise socio-économique qui traverse notre société déstabilise les processus de socialisation de base et laisse la jeunesse dans un état de vide, état de violence symbolique par excellence, et que la violence agie des jeunes est en grande partie une réponse à cette violence subie. "

 

 

Violences symboliques et occultation du conflit
 

Dans un contexte de néolibéralisme dominant, il est devenu incongru de relier les problèmes sociaux à des bases économiques - comme si, désormais, les comportements sociaux de telle ou telle catégorie de la population étaient devenus indépendants de ses conditions matérielles d’existence. Force est, néanmoins, de constater que la crise économique et sociale de la décennie 1970 vient bousculer et déstabiliser les processus de socialisation des milieux populaires. Pour mettre en évidence cette affirmation, nous exposerons brièvement ce que sont ces mécanismes de socialisation et les modalités de légitimation de l’autorité, du droit et de la justice qu’ils portent. Nous pourrons alors tenter de mettre en évidence les conséquences familiales de cette crise économique structurelle et nous interroger sur les réponses idéologiques qu’apporte notre société.

 

Les cultures populaires et leurs socialisations Nous appelons "cultures populaires" l’ensemble des visions du monde qui se sont structurées autour du double ancrage que constituent les figures du "travail" et du "collectif". Si elles sont homogènes dans ce double fondement, elles sont également diverses d’un secteur économique à l’autre, d’une branche industrielle à l’autre, d’une région géographique à l’autre. Il n’est pas de notre propos ici de rendre compte de cette diversité. Nous nous contenterons d’exposer les aspects communs, en nous limitant aux dimensions de l’autorité, du droit et de la justice.

 

1. Le travail et l’utilité sociale
 

Le travail est au centre des cultures populaires (la culture ouvrière étant le noyau de celles-ci). Beaucoup plus qu’un simple échange de revenus et de force de travail, il est intériorisé comme un donneur d’identité valorisante et valorisée. Le rapport au travail ne s’inscrit donc pas dans le cadre d’une logique instrumentale mais est porteur d’un soubassement identitaire puissant et donc d’une charge affective particulièrement forte. L’origine de cette place du travail est à rechercher dans le système de contraintes et de conditions d’existence particulièrement dures qui ont marqué l’émergence de ces cultures au cours du processus d’industrialisation. Pour rendre supportables celui-ci, force à alors été de transformer la contrainte en valorisation.

 

"Celui qui ne travaille pas, ne mange pas" : ce dicton, rencontré dans une de nos enquêtes dans les mines du Pas-de-Calais, résume à notre sens ce processus de transformation d’une contrainte en valeur. En effet, loin de n’être que le simple reflet de la dureté des conditions, il exprime également une "éthique sociale" porteuse de sens, que nous pourrions résumer de la manière suivante : Face aux difficultés d’existence, la participation de tous est nécessaire. Dès lors, la figure du "fainéant" devient l’image de l’illégitimité. Celle de l’homme au travail devient le symbole de la légitimité.

 

2. Le rapport au monde et à la quotidienneté
 

Dans cette texture de base se construit alors le rapport au monde et à la quotidienneté. Le rapport au monde est bâti sur l’idée d’une division entre des "travailleurs", producteurs de richesses, et des "possédants" ne contribuant pas à l’utilité sociale. L’idée d’une injustice fondamentale est donc posée, relayée par le discours politique, syndical, associatif et religieux. Cette injustice a une grille explicative : la participation au travail social ou non. Elle donne une cible sociale précise. Elle dessine un espoir social permettant de mieux supporter les difficultés et souffrances du présent. Elle constitue, enfin, un facteur d’identité et de dynamique collective puissant. La violence sociale existe, certes, mais elle est à la fois ritualisée pour ne pas affaiblir la "communauté" et externalisée en direction d’une cible sociale. Les remises en cause de l’injustice du monde se pensent globalement comme remise en cause collective du droit ; il n’est qu’à la marge qu’elles sont contournements individuels du droit.

 

Le rapport à la quotidienneté se tisse, lui, autour du travail du père. L’ensemble du système de repères est fonction de cette activité productive. Contentons-nous, pour illustrer cette affirmation, des repères de temporalité. C’est à partir des rythmes de l’entreprise et donc des horaires de travail du père (et de la mère, mais à un degré moindre) que se structurent les repères et les rythmes de la famille. Les heures des repas, du repos, des loisirs, des retrouvailles familiales, de l’accueil des amis, etc., prennent pour base la disponibilité du père de famille. Au niveau hebdomadaire, la distinction semaine/week-end ne prend valeur que par rapport à la présence du père. Depuis l’instauration des congés payés, l’importance symbolique des vacances renvoie aux mêmes raisons. La même analyse pourrait être développée à propos des autres repères fondamentaux - d’espace, d’adultéïté, de légitimité, etc.

 

L’ensemble de ce système de socialisation est bousculé par la massification du chômage et de l’exclusion. Jamais, depuis la révolution industrielle et l’exode rural massif qu’elle a suscité, une masse aussi importante de citoyens n’a connu de migration sociale aussi importante. Les identités sociales sur lesquelles se construisaient les identités individuelles sont remises en cause et les processus de socialisation basés sur ces identités sociales tendent à devenir inopérants. Si le processus se déploie au sein de chaque famille, il est étroitement dépendant du système environnant. Dans certains quartiers populaires, l’image du travailleur est devenu si rare que même les familles non exclues du travail sont touchées par ces bouleversements. Abordons maintenant la question des conséquences sur le système familial.

 

La déstabilisation des pères
 

Nous avons souligné précédemment l’ancrage de l’identité paternelle dans le travail. La disparition de cette base identitaire, par le chômage d’une part et par la disparition de l’espoir de retrouver un emploi, a des conséquences importantes sur la dynamique et les équilibres familiaux. Nous assistons en effet à une remise en cause complète des rôles et fonctions de chacun des acteurs. Nous nous contenterons ici d’analyser ce qui se joue sur la fonction paternelle. Le même type d’analyse pourrait être mené à propos des autres acteurs familiaux : mère, frère aîné, fille, etc.

 

1. L’identité blessée
 

L’identité masculine, avons-nous dit, est construite autour du travail. Cela est encore plus vrai de l’identité paternelle. Un bon père de famille est celui qui participe aux besoins de sa famille. En transaction de ce travail est reconnue une autorité spontanée au père. Les processus de socialisation primaires permettent dès la prime enfance une intériorisation de cette autorité légitime. Le fonctionnement quotidien du système familial permet une reproduction permanente de la légitimité de cette autorité. L’expérience du chômage durable est de ce fait inévitablement une blessure narcissique et identitaire. C’est le sens même de la légitimité, de la fonction et de l’autorité qui est ainsi remis en cause.

 

Inévitablement, la tendance à la dévalorisation de soi se développe. Elle est d’autant plus forte que l’ensemble du système familial partage la même conception du monde et contribue, sans le vouloir, à accentuer l’auto-dévalorisation. Le père de famille au chômage se retrouve ainsi avec le sentiment d’un pouvoir et d’une autorité illégitimes et les autres acteurs familiaux ont tendance, progressivement, d’abord à questionner cette autorité, puis à la remettre en cause. Il en découle des pères aux identités blessées, partagés entre leur "vouloir-être" et l’illégitimité que porte leur situation. Les réactions à ce type de situation sont diverses, mais conduisent toutes à une accentuation de la crise des socialisations.

 

La légitimité d’une place, d’une fonction et d’une autorité pose la question de la légitimité même de la présence et, à l’extrême, de celle de l’existence. L’illégitimité tend en conséquence à se traduire dans des comportements de fuite et/ou de départ. Si le suicide est la forme extrême du départ, l’alcoolisme en milieu populaire peut s’analyser aussi comme processus de fuite d’une réalité identitaire insupportable. Une autre forme prise par l’absence se trouve dans l’abandon physique du domicile familial. Dans l’ensemble de ces situations, la figure du manque et de l’absence marque la dynamique familiale.

 

L’absence peut néanmoins prendre une forme en apparence moins forte, mais symboliquement plus destructrice pour les enfants. Nous parlons ici du développement quantitatif de ces pères présents/absents, présents physiquement au sein de la famille mais symboliquement absents. Ce qui est décrit trop facilement par les médias et les travailleurs sociaux comme une "démission" nous semble plutôt être le résultat de cette impossible présence, du fait d’une crise profonde de légitimité. C’est d’ailleurs ce que confirme une autre tendance en apparence opposée, celle au sur-autoritarisme. L’autorité qui se maintient sans un donneur de légitimité partagé par l’ensemble des acteurs tend inévitablement à être vécue comme excessive et à le devenir effectivement. Ce qui est de nouveau posé ici, ce n’est pas l’ampleur des interdits et des permissions posés, mais leur légitimation.

 

2. Des enfants sans place
 

La remise en cause de la place paternelle est logiquement une confiscation de la place des enfants. En effet, c’est dans la famille que l’enfant fait sa première expérience du lien social. Le lien familial est le premier lien social que vit l’enfant. Il est constitutif du premier apprentissage de vie en société dans lequel il s’acclimate à l’existence de l’Autre. La présence du père est à ce niveau essentielle, dans la mesure où l’acte de poser des limites est dans le même temps une réelle reconnaissance, la première forme de reconnaissance sociale que rencontre l’enfant. Bien entendu, cela ne signifie pas que la présence physique du père soit une nécessité ; et de nombreuses femmes vivant seules avec leurs enfants réussissent à poser des limites et donc une reconnaissance.

 

Par contre, les pères présents/absents apparaissent, pour ces enfants, comme une véritable énigme non structurante. Il en découle à la fois des difficultés dans le rapport à la limite et un déficit de reconnaissance sociale, que l’enfant cherchera à combler par tous les moyens à sa disposition. La situation n’est pas en elle-même problématique, elle n’est pas non plus fondamentalement nouvelle. Si quantitativement l’absence des pères grandit, elle a toujours existé, à un degré moindre. Cependant, l’aspect nouveau apparaît dans la disparition progressive des autres formes de reconnaissance sociale donneuse de limites, du fait de la crise socio-économique. Non reconnu dans la famille, l’enfant de nombreux quartiers populaires se voit aussi dénier toute place au sein de l’école, puis dans le monde du travail. Certes, il peut construire avec ses pairs vivant la même situation des expériences donneuses de reconnaissance dans un groupe et porteuses de limites intragroupales. Celles-ci n’ouvrent cependant pas à une reconnaissance sociale globale. Elles restent internes à un groupe, à un moment où le besoin et le désir sont de prendre une place sociale à part entière. C’est bien la question du droit de cité - ou du doit d’être cité -, ou encore de la citoyenneté, des enfants et des jeunes qui est ici posée.

 

La négation idéologique
 

Les processus décrits ci-dessus se déroulent dans un environnement idéologique sociétal particulier, qui a accompagné le développement de la crise économique et qui l’a en grande partie légitimée comme nécessité souhaitable et/ou comme réalité inévitable. Les ingrédients de cette mayonnaise idéologique sont désormais connus : ultra-libéralisme dans sa version négation de l’État, individualisme dans sa version culte de l’"excellence", relativisme absolu, diabolisation du principe même d’autorité censé déboucher sur l’autoritarisme, refus du conflit et culte du consensus, etc. L’ensemble de ces facteurs conduit à confisquer le droit au conflit, pour une génération qui en a plus que jamais besoin. Arrêtons-nous sur quelques-uns de ces aspects...

 

1. La négation du conflit
 

La crise que nous vivons est porteuse d’injustices et d’inégalités croissantes. Dans le même temps où un pan entier de la société s’appauvrit, un autre voit ses profits en bourse exploser. Nier idéologiquement le principe même de conflit, le présenter comme négatif, l’analyser comme uniquement destructeur, permet de constituer dans l’opinion une tendance à diaboliser le conflit social. C’est là oublier que toutes situations d’oppression - réelles ou ressenties comme telles - suscitent inévitablement le besoin de conflit, qui est dans le même temps volonté de compréhension et tentative de trouver une solution. Interdire le conflit, sans supprimer son origine dans l’expérience d’oppression, conduit à transformer le conflit en violence. L’idéologie du consensus sans conflit conduit inévitablement au maintien de la situation d’oppression, à l’illégitimité d’une parole contre celle-ci, ne laissant comme seule voie que la violence. La confusion entre conflit et violence, entre accord après confrontation et accord avant celle-ci, entre consensus et compromis, débouche sur une délégitimation de la parole de ceux qui se sentent opprimés.

 

Une telle situation a des conséquences non négligeables sur le rapport au monde des nouvelles générations. Ne pouvant pas trouver sur le marché de la confrontation sociale les conflits qui peuvent à la fois leur donner une explication collective de leur situation, un espoir social d’en sortir, une place sociale avec des personnes issues d’autres générations, une cible générale permettant d’orienter la contestation, elles vont tenter de le chercher ailleurs et autrement. La transmutation du conflit en violence peut dès lors se déployer.

 

Les formes de la transmutation sont visibles sur la scène sociale. Elles peuvent se résumer arbitrairement en trois catégories différenciées, signifiant toutes un degré de souffrance sociale différent et une recherche de place sociale. En premier lieu, nous trouvons ce que nous appellerons la violence internalisée, c’est-à-dire la violence retournée contre soi-même, dont la forme ultime est le suicide. Il n’est pas inutile, à ce niveau, de rappeler que le suicide est la première forme de mort des jeunes en France, surtout si l’on prend également en compte, comme relevant des même processus, les conduites suicidaires. La seconde forme repérable est, bien entendu, la violence externalisée avec cibles précises. Il n’est en effet pas neutre de noter ce qui est détruit dans les violences des jeunes, de même qu’il n’était pas indifférent d’analyser ce qui était détruit dans les émeutes de la classe ouvrière dans le passé, ou dans les révoltes de la faim du tiers-monde. Enfin, nous trouvons la violence externalisée sans cibles, c’est-à-dire prête à exploser en tout endroit et en tout temps. Force est de constater que notre société inégalitaire est plus sensible à certaines violences qu’à d’autres. Force est de remarquer que l’attention sociale se porte plus facilement sur les jeunes qui cassent que sur les jeunes qui se cassent.

 

2. De l’autorité au pouvoir
 

Outre la confusion entre violence et conflit, l’air du temps idéologique en entretient une autre, celle entre autorité et pouvoir. Cela permet une relecture des contestations passées et présentes, pour les présenter non plus comme le refus d’une situation d’oppression (familiale ou sociale), c’est-à-dire comme une remise en cause du pouvoir, mais comme une défaillance de l’autorité, ou une remise en cause du principe même d’autorité. L’enjeu est de taille. Il consiste tout simplement à internaliser des causes qui sont fondamentalement sociales ou externes à l’individu. La confusion ne peut que déboucher sur un appel à plus de répression, à plus de morale.

 

La forme prise par cette confusion peut alors se développer sous deux formes, niant toutes deux la nécessité d’un nouveau partage du pouvoir et donc des richesses. La première peut - pour forcer le trait - se décrire dans le leitmotiv suivant : " Les parents sont démissionnaires, ils ne jouent plus leurs rôles, les jeunes n’ont pas intégré la loi, ils n’ont plus de repères constructif, il faut donc leur en donner en leur rappelant la loi. " Un tel raisonnement fonctionne selon le vieux principe idéologique, de rappeler des constats justes pour en donner des explications et des conclusions ne touchant pas à la sphère du pouvoir. Il fonctionne également avec une méthode éprouvée idéologiquement, consistant à absolutiser des constats partiels. Nous l’avons rappelé ci-dessus. Nous considérons certes que de nombreux jeunes de milieux populaires voient se détruire les processus et institutions du monde populaire donneurs de repères, de sens et de consistance à leur existence. L’origine de ces dimensions critiques n’est cependant pas, selon nous, dans une " démission parentale " ou dans un refus de l’autorité par les nouvelles générations. Elle est dans une dimension sociale de négation de toute place sociale, tant pour les jeunes de milieu populaire que pour leurs parents. De la même façon, les réactions violentes d’une partie de la jeunesse peuvent se lire autrement que comme simple déstructuration ou décomposition, sans pour cela nier que ces dimensions existent au sein des jeunes du monde populaire. Elles sont également des tentatives de faire entendre une oppression et de faire avancer des aspirations, dans les canaux qu’ils trouvent à leur disposition, du fait de la faiblesse d’autres canaux d’espoirs sociaux. Ce qui est alors remis en cause, c’est un pouvoir donné, portant une autorité précise, vécue comme injuste - ce n’est en aucun cas le principe même de loi ou d’autorité.

 

La seconde forme de confusion idéologique peut être résumée dans un second leitmotiv, que nous caricaturons à dessein : " Les jeunes sont coupés de la vie démocratique ; ils ont désappris les règles fondamentales de la citoyenneté, de la démocratie et de la République ; il faut dialoguer avec eux et les intégrer dans la citoyenneté. " Un tel raisonnement - aussi séduisant soit-il - revient, une nouvelle fois, à occulter la question du pouvoir. Si les constats peuvent être considérés comme justes, la conclusion débouche une nouvelle fois sur une internalisation des causes. Éduquer les jeunes à la citoyenneté revient inévitablement à considérer que la source de leurs comportements se trouve dans une carence de savoirs et de savoir-faire démocratiques. C’est là utiliser l’impératif moral ou la grille morale de lecture en lieu et place d’une recherche sociale des causes. Si les comportements des jeunes interpellent le concept de citoyenneté, c’est justement qu’ils posent les questions de leur place sociale et celle du partage du pouvoir. Toutes les périodes historiques où un modèle de citoyenneté a été questionné ont également été des moments de luttes pour un nouveau partage du pouvoir (citoyenneté censitaire, droit de cité pour les femmes, etc.).

 

3. Des certitudes au relativisme absolu
 

Un troisième aspect du contexte idéologique actuel se lit dans l’émergence d’une philosophie centrée sur le relativisme absolu. En posant que toutes les affirmations, toutes les aspirations et toutes les valeurs se valent et sont en conséquence légitimes, le relativisme absolu conduit à une dépossession du monde, c’est-à-dire à un sentiment d’impuissance sociale devant les inégalités du réel social. Nous passons ainsi aisément d’une attitude exigeant le regard critique sur toute réalité, c’est-à-dire refusant les certitudes absolues, à une autre, consistant à absolutiser la relativité, c’est-à-dire à refuser le principe même de certitude. La diffusion de cette grille philosophique de lecture - outre qu’elle ouvre la voie à tous les révisionnismes et à tous les négationnismes - ne peut, en situation de mal-vie, que renforcer les réactions nihilistes. Le débat et le combat collectif conflictuel pour mettre fin à une situation jugée scandaleuse cède alors le pas aux réponses individualistes.

 

Les logiques de la dissidence
 

Les comportements des jeunes ont essentiellement été abordés, ci-dessus, sous l’angle de ce qui disparaît comme équilibre du fait de la crise. L’autre aspect est de tenter de saisir les logiques en œuvre dans les comportements, c’est-à-dire ce qui tente de se reconstruire.

 

1. La recherche du conflit
 

De nombreux comportements et attitudes de la jeunesse de milieu populaire indiquent une recherche de confrontation avec le monde adulte et la société globale. Ainsi en est-il des stratégies de visibilité sociale, amenant les jeunes à occuper des lieux où ils ne peuvent pas passer inaperçus. De la même façon, la provocation peut être comprise comme comportement obligeant au contact et à la prise en compte, même sur un mode négatif. Se sentant, à tort ou à raison - peu importe ici -, déniés toute place sociale, ces jeunes préfèrent en prendre une sur le versant négatif. Avoir une place négative vaut mieux que ne pas en avoir du tout. Au sein de la famille, la logique peut prendre une forme similaire. Devant l’absence de discours des parents, le passage à l’acte peut aussi se lire comme quête de conflit permettant au jeune de se situer dans un rapport de reconnaissance.

 

La question sociale qui nous est posée par ces comportements de visibilisation sociale est celle de la capacité du monde adulte à accepter le conflit comme élément nécessaire à la constitution d’un lien social et familial où chaque acteur prend une place. Cela pose une double condition, impliquant remise en question de notre modèle de société. En première condition, il y a la nécessité d’un minimum de stabilité pour pouvoir vivre sereinement un conflit et ainsi le rendre productif. Nous avons souligné ci-dessus l’ampleur de la déstabilisation vécue par les adultes du monde populaire et les conséquences sur les identités parentales. Si les mères ont encore la possibilité de se replier sur les enfants sans briser la cohérence portée par les cultures populaires, les pères, eux, vivent pour beaucoup une véritable crise de légitimité. À un niveau plus global, de nombreuses professions en contact avec les jeunes sont questionnées sur l’efficacité et le sens de leurs actions. L’école et le travail social, par exemple, vivent à mon sens une véritable crise de leurs identités professionnelles. Là aussi, les adultes sont déstabilisés et ont tendance à fuir, à occulter ou refuser le conflit.

La seconde condition se trouve, selon nous, dans les limites du modèle de citoyenneté que nous héritons de l’Histoire. Celui-ci porte en effet une dimension adulto-centrique, c’est-à-dire qu’il considère que les jeunes n’ont pas encore acquis l’ensemble des capacités à la citoyenneté. Le citoyen est postulé comme ne pouvant être qu’adulte. La citoyenneté de ’enfant et du jeune est un impensable et un impensé du modèle français de citoyenneté, tel qu’il a été hérité de la Révolution française et de deux cents ans d’Histoire. L’enfant et le jeune sont perçu comme être à éduquer et non comme citoyen à associer aux processus de décisions. Or, il faut souligner ici que le conflit n’a de sens positif, progressiste et constructif, qu’à la condition que les deux parties acceptent le principe de la négociation. Si la question du pouvoir est éludée, nous nous retrouvons dans un simulacre de conflit et de dialogue.

 

À cet égard, il faut souligner l’aspect idéologique de nombreux discours sur la communication. Ceux-ci postulent, en effet, que le problème, dans le rapport aux jeunes ou à d’autres populations, se situe uniquement dans l’incompréhension. Il suffirait de bien expliquer le réel pour déboucher sur la disparition des problèmes, qui sont donc postulés sans réelles bases objectives. Ce faisant, c’est le conflit qui est une nouvelle fois dénié, au moment où les acteurs en ont le plus besoin.

 

2. Une demande de normalité
 

La dissidence peut également se lire comme exigence de normalité. Paradoxalement, en effet, les jeunes que nous avons rencontrés au cours de nos enquêtes décrivent dans leurs discours un souhaitable de grande conformité sociale. Nous sommes ici loin des discours sur l’existence d’une " culture jeune ", qui serait un rejet de la norme sociale. C’est pour atteindre une normalité considérée comme inaccessible autrement que de nombreux jeunes entrent en dissidence. Devant l’absence de place sociale, trois possibilités sont disponibles pour entrer en dissidence. Avant de décrire ces options, rappelons qu’une des manières possibles pour décrire une société est de la définir comme un mode d’articulation entre des finalités légitimes et des moyens légitimes. Pour les sociétés industrialisées, la finalité légitime posée est la consommation et le moyen légitime est le travail. La carence du moyen légitime peut déboucher sur les orientations suivantes.

En premier lieu, il y a l’attitude visant à faire disparaître la finalité légitime.

 

L’attirance vers les sectes ou vers l’intégrisme religieux peut aussi se lire comme tentative de faire disparaître une finalité légitime inaccessible. De la même façon, le suicide est une des formes extrêmes permettant de faire disparaître toute finalité. La seconde orientation possible est la recherche de moyens illégitimes pour parvenir aux finalités sociales légitimes. Paradoxalement, la délinquance apparaît ici comme quête de la normalité. Ce processus est constatable pour d’autres publics, sous des formes différentes. Ainsi, de nombreux travailleurs sociaux ou enseignants ont pu constater la propension des familles ayant de grosses difficultés de revenus à consommer au-dessus de leurs moyens. Ces familles sont, par exemple, parmi les plus demandeuses de téléphones portables. Ces comportements peuvent se lire comme irrationalité de gestion, mais peuvent aussi se comprendre comme exigence de normalité dans l’immédiat. La troisième possibilité est l’action collective pour transformer la situation. Dans ce domaine, force est de constater que nous sommes passés d’un fort réseau associatif revendicatif, dans les années 1980-1985, à une tendance à un associationnisme centré sur les loisirs et la gestion d’activités. De nouveau, par volonté d’éluder les situations conflictuelles, cette voie a été largement bouchée et délégitimée.

 

Une exigence de citoyenneté
 

Que ce soit dans la famille ou dans la société, les jeunes remettent en cause notre modèle de citoyenneté. Le débat n’est donc pas ici d’" intégrer " les jeunes à une citoyenneté qui serait préexistante, mais de saisir en quoi le comportement et la situation des jeunes de milieux populaires (comme ceux d’autres populations marginalisées)orientent à la fois vers plus de justice sociale et vers une citoyenneté nouvelle, à définir et à conquérir. Nous avons déjà souligné plus haut le caractère adulto-centrique de notre modèle de citoyenneté. Quelques autres dimensions de ce modèle peuvent être soulignées.

 

1. Une citoyenneté capacitaire
 

Le modèle français de citoyenneté porte historiquement en lui une logique capacitaire, posant que certains ont les capacités à être citoyen alors que d’autres ne l’auraient pas. Successivement, l’affirmation d’incapacité a servi à exclure du droit de cité les travailleurs, par la logique censitaire, les femmes par la logique sexiste. À chaque fois, il a fallu des luttes sociales et des rapports de forces pour faire exploser ces verrous à la citoyenneté. Aujourd’hui, les jeunes et les immigrés sont également globalement considérés comme incapable du droit de cité.

 

2. Une citoyenneté délégataire
 

Le modèle français de citoyenneté est centré sur la notion de délégation du pouvoir. Chaque citoyen posséderait une parcelle du pouvoir de la nation, qu’il déléguerait à des élus par le biais d’élections démocratiques. Cette logique dépasse de beaucoup la simple sphère des élus politiques. Elle est présente dans le fonctionnement des institutions (école, logement, structure sociale, etc.). Force est de constater que ce modèle (qui a été un progrès historique à son époque d’émergence) dessine la figure d’un citoyen passif qui n’assume pas les responsabilités de sa parcelle de pouvoir, mais qui la délègue. La citoyenneté délégataire est dans le même temps une citoyenneté individuelle, empêchant aux collectifs d’exister comme réalité agissante.

 

3. Une citoyenneté non économique
 

Le modèle français de citoyenneté se centre sur la sphère politique et élimine la dimension économique. Si l’égalité de tous est affirmée dans le principe " Un homme - une voix " (qui devrait d’ailleurs, dans son universalité, pousser à l’attribution du droit de vote aux résidents étrangers), l’inégalité dans le domaine économique n’est pas questionnée. Or, force est de constater, avec le développement de la crise, que l’exercice du droit de cité nécessite un minimum de stabilité sociale, comme en témoigne la tendance des populations exclues à déserter les urnes.

 

4. Un rapport méfiant au monde
 

D’autres caractéristiques de la citoyenneté actuelle pourraient être déclinées. Nous nous sommes contentés de celles qui étaient remises en cause par l’évolution de notre société et en particulier par la situation des jeunes de milieux populaires. Ceux-ci développent en effet un rapport méfiant au monde, qui rend décalés les discours qui leur sont tenus en matière de politique, de concertation, de citoyenneté.

 

L’expérience de la galère, par son aspect douloureux (même quand elle n’est pas vécue personnellement, mais qu’elle est présente dans l’environnement social et géographique) et l’isolement qu’elle entraîne, produit un rapport particulier au monde et à l’existence. Celui-ci se caractérise par une méfiance exacerbée à l’égard des promesses et une volonté de tout maîtriser. Dans le domaine politique, de telles attitudes s’opposent au modèle classique de citoyenneté, centré sur la délégation et la représentation. Sans l’avoir voulu, les jeunes se retrouvent en situation d’innovation, par rapport à notre conception dominante de la délibération démocratique. Les jeunes lascars de banlieue manifestent souvent le désir de contrôler les décisions qui les concernent, l’exigence d’une proximité plus grande des élus, leur volonté d’une démocratie plus directe. De nombreuses expériences d’associations de jeunes, qui n’ont pas tenu compte de cet aspect, se sont conclues par des échecs. Proposer à un groupe de jeunes de l’associer à un processus de décision en lui demandant de désigner un représentant, c’est souvent oublier ce rapport nouveau au politique, qui est le résultat d’une socialisation particulière.

 

Conclusion
 

Des mutations profondes sont en cours, au sein des sociétés industrialisées. À leur base se trouve la déstabilisation des cultures de classes, entraînant une baisse d’efficacité des processus de socialisation et des institutions qui les portaient. Les conséquences intrafamiliales se concentrent en grande partie autour de la figure du père, qui se retrouve avec une délégitimation objective de son autorité, une tendance à l’absence et une identité blessée. Par voie de conséquence, les enfants ont des difficultés à trouver une place sociale légitime, d’autant plus que les autres institutions socialisatrices sont elles-mêmes touchées par la déstabilisation et la délégitimation. Les nouvelles générations ne restent cependant pas passives devant cette déconstruction. Elles entrent en dissidence selon les modalités encore à leur disposition. Ce discours critique sur le monde (même si on peut remettre en cause ses formes et ses cibles) remet en cause à la fois les injustices sociales et notre modèle de rapport au politique.

 

 

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31 décembre 2014 3 31 /12 /décembre /2014 16:45

Face à l'exploitation industrielle des consciences et face au vol calendaire voulu par le consumérisme et la spéculation, chacun de nous doit devenir un gardien du temps. C'est le combat d'une résistance pour sauvegarder avec pugnacité ce qui constitue la matrice de la beauté humaine, contre un monde devenu économiquement pulsionnel et sauvage.

 

" Prise d'otages régalienne "

 

 

Selon le philosophe et sociologue Edgar Morin, l'accélération financière et technologique, déconnectée du rythme de l'être humain, mène la société à l'épuisement. Alors que des algorithmes accentuent de manière exponentielle la spéculation financière hors de tout contrôle, des citoyens refusent de se soumettre aux diktats de l'urgence et de l'immédiateté, pour redonner du sens au temps qui passe...

 

 

Nous sommes entrés dans l’ère de l’accélération globalisée. Vitesse et court terme sont devenues la norme de la société. Mis sous tension par l’accélération financière et technologique, nous tentons encore de suivre un rythme qui nous mène pourtant vers des catastrophes écologiques, économiques et sociales annoncées. Mais certains d’entre nous ont décidé de ne pas céder à l'injonction d'’immédiateté, en expérimentant - individuellement ou collectivement - des alternatives locales et concrètes, afin de « bien vivre ». Chaque jour partout dans le monde, en Europe, en Amérique Latine, aux États-Unis ou en même en Inde, ils travaillent à redonner du sens au temps. À la marge du paradigme dominant ils contribuent peut-être déjà au nouveau monde de demain.

 

 

 

Entretien avec Bernard Stiegler, philosophe, co-fondateur de Ars industrialis, association internationale pour une politique industrielle des technologies de l'esprit : « Je ne crois pas à la décroissance, mais plutôt à une nouvelle révolution industrielle. » (16min07)

 

 

Extraits de l'ouvrage " Je n'est pas un autre " Chapitre 3: Comment reconquerir le temps ?

 

Copie-de-extrait-94--98.jpg

- Cliquez sur l'image pour obtenir le PDF -

 

 

Liens sécurisés vers l'ouvrage : www.amazon.fr

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10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 17:17

Voici la conférence mythique de Bernard Stielger... Où le philosophe, non sans audace et avec brio, s'attaque au problème du discrédit généralisé engendré par les élus. Sous le regard de la psychanalyse et des sciences sociales, celui-ci décrit avec minutie les effets ravageurs d'une politique d'abandon des citoyens, devenus les "boucs-émissaires" de la révolution conservatrice.

 

 

Conférence audio prononcée le 19 mars 2011 par Bernard Stiegler au palais de Justice de Paris devant l'association française des juges pour enfants :

 

 

" De la croyance en politique ", par Bernard Stiegler

 
En ce début du XXIe siècle, la liquidation des singularités induit à la fois la totale perte de confiance des prolétarisés et la mécréance calculatrice et avérée des puissants, toujours plus hégémoniques et arrogants, chaque jour davantage tentés de discréditer tous corps de métiers et, par là même, de jeter l'opprobe sur l'ensemble des citoyens.

 

Le scepticisme qui s'est manifesté lors des élections européennes ne fut que l'un des résultats les plus lamentables de la mécréance politique qui ravage le monde contemporain. Cet effondrement de la croyance en politique a une histoire, qu'il faut désormais analyser.

 

Après que la révolution industrielle eut transformé en prolétaires les ouvreurs de monde qu'étaient, à leur manière, et à l'écart des clercs, les ouvriers - ceux qui opèrent avec leur main- d'œuvre, les travailleurs et les producteurs en général -, le XXe siècle a accompli la mondialisation du capitalisme en imposant la prolétarisation du consommateur. Ce prolétariat total, exproprié de tout savoir, qu'il s'agisse de ses savoir-faire ou de ses savoir-vivre, est à présent condamné à une vie-sans-savoirs, c'est-à-dire sans saveurs. Il est jeté dans un monde insipide, et parfois immonde : à la fois économiquement, symboliquement et libidinalement misérable.

 

Comme celle du producteur, la prolétarisation du consommateur affecte toutes les couches sociales, bien au-delà de la "classe ouvrière". Elle conduit à l'état de consomption qui résulte de la captation et du détournement de l'économie libidinale par les technologies du marketing : l'exploitation rationnelle de la libido par les moyens industriels épuise l'énergie qui la constitue.

 

Or la collectivité politique étant constituée par sa "philia" (par l'"amicalité" qui lie ceux qui la composent) est de part en part libidinale. Autrement dit, la consomption tend à liquider le processus d'individuation politique qui caractérisait l'Occident depuis que les poètes géomètres et législateurs, fondateurs des cités de la Grèce ancienne, penseurs dits présocratiques, interrogeaient cette individuation comme le mystère de l'Un et du Multiple, politisaient ainsi le monde en le pensant, et le pensaient en le trans-formant, c'est-à-dire en légiférant, affirmant ainsi le pouvoir des idées.

 

Une politique est-elle donc encore possible aujourd'hui qui ne serait pas essentiellement une lutte, un "polemos", selon le langage d'Héraclite (vers 576-vers 480 av. J.-C.) contre l'épuisement tendanciel des ressources existentielles, temporelles et sapientielles hors desquelles paraît impossible quelque individuation psychique et collective que ce soit - y compris, peut-être, au-delà de ou par-delà toute politique ?

 

La société de contrôle, au sens du philosophe Gilles Deleuze (1925-1995), comme mise en œuvre des technologies du calcul qui permettent l'absorption de l'existence par les impératifs industriels de la production, poursuit et complique la rationalisation telle que la décrivit le sociologue allemand Max Weber (1864-1920). Pour développer son analyse du "Beruf" comme "vocation à gagner de l'argent" ("le système capitaliste a besoin de ce dévouement à la vocation de gagner de l'argent"), Weber rappelle que l'ouvrier, dès lors que l'on augmente son salaire, travaille moins : il choisit de prendre son temps.

 

L'ouvrier qui ouvre est d'abord tourné vers ce temps libre et social que l'on appelait autrefois l'"otium". S'il gagne plus d'argent, il diminue son temps de travail pour exister dans la liberté de son temps, et non seulement survivre et sub-sister, ce qui contredit "l'esprit du capitalisme". Il faut donc baisser son salaire pour l'obliger à travailler : telle est la paupérisation qui accompagne inévitablement la prolétarisation.

 

Avec le fordisme comme nouveau modèle industriel aussi bien que politique, le producteur doit devenir, au début du XXe siècle et aux Etats-Unis, un consommateur. Cette nouvelle rationalité apparaît d'autant plus nécessaire que la Grande Dépression des années 1930 exprime les fameuses "contradictions du capitalisme". C'est ainsi que le marketing devient roi, entamant le processus de prolétarisation du consommateur.

 

Cependant, la prolétarisation généralisée, comme appauvrissement des existences aussi bien que des subsistances, imposée à toutes les individualités, psychiques ou collectives, qu'il s'agit de soumettre à une pression permanente en vue de les particulariser et de les désingulariser, finit par engendrer un effondrement de la raison, si l'on entend par "raison" ce qui constitue le motif de vivre des âmes qu'Aristote appelle "noétiques" et qu'il qualifie aussi de "politiques" dans la mesure où elles sont ainsi tournées vers et enclines à la "philia". Ce motif, Aristote (vers 384-vers 322 av. J.-C.) le nomme "theos" : il est par excellence l'avènement de l'onto-théologico-politique.

 

La rationalisation prolétarisante du producteur, qui passe par la transformation du "logos" en "ratio", est ce qui, concrétisant la "mort de Dieu", substitue à la question de la croyance celle de la confiance. Et c'est pourquoi le dollar exprime tout de la pensée de l'homme politique américain Benjamin Franklin (1706-1790), dont les sermons guident l'analyse de Weber, par cet énoncé inscrit sur le billet vert : "In God we trust", la croyance (belief) étant devenue, selon les sermons de Franklin, légitimement calculable, ce qui est sa transformation en ce que l'on appellera dès lors la confiance.

 

Tel est le fruit de ce nouvel état d'esprit en quoi consiste le développement du capitalisme et qui nécessite, comme le montre Weber, une "confiance absolue en ses innovations" et le règne du trust. Le capitalisme est l'invention permanente - et littéralement fascinante - de nouveaux modes de production et de consommation qu'il faut développer contre la tradition, et qui supposent le développement d'une confiance intégralement calculable qui vient se heurter à la croyance.

 

Cependant, en ce début du XXIe siècle, la liquidation des singularités et la destruction tendancielle de l'économie libidinale qui en résulte, et que chacun pressent, ne serait-ce que par dénégation, induit à la fois la totale perte de confiance des prolétarisés et la mécréance calculatrice et avérée des puissants, toujours plus hégémoniques et arrogants.

 

Le discrédit généralisé répond dès lors à la prolétarisation totale et menace le système capitaliste en son cœur même : le développement rationnel de la confiance entraîne la destruction rationnelle de toute croyance - c'est-à-dire de tout avenir. Tel est le nihilisme, face auquel Friedrich Nietzsche (1844-1900), contrairement à tant de clichés, en appelle à une autre croyance. "Et si vous deviez gagner la mer, vous autres émigrants, ce qui vous y pousserait, vous aussi, serait encore une croyance", écrit-il dans Le Gai Savoir.

 

Aujourd'hui, la souffrance est terriblement éprouvée par tous et partout de la mécréance et du discrédit, qui n'a pu advenir comme évidence (il aura fallu un siècle, comme Nietzsche l'annonça) qu'à partir du moment où la libido, le désir au sens freudien, et non simplement l'intérêt au sens webérien, est devenue l'objet du calcul en vue de son exploitation systématique.

 

Aussi nécessaire que puisse apparaître de nos jours une interrogation en retour du théologico-politique, la nouvelle question de la croyance en politique est donc moins un retour au religieux qu'un retour de ce qui aura été refoulé à travers la mort de Dieu : la question de la consistance en tant que ce qui, n'existant pas, ne peut pas faire l'objet de calcul, en tant que ce qui maintient distincts, mais non opposés, motif et "ratio". La question de ce qui, comme existence tournée vers le consistant qui n'existe pas, compose (avec) l'incalculable : "Il faut qu'il y ait dans le poème un nombre tel qu'il empêche de compter", écrit le poète et dramaturge Paul Claudel (1868-1955), et il n'y a pas que Dieu qui, bien que n'existant pas, consiste. Il y a aussi l'art, la justice, les idées en général. Les idées n'existent pas : elles ne font que consister. Telle est leur force, leur pouvoir, comme dit Freud. Tel est le pouvoir du savoir, du sapide, de la sapience.

 

Dieu étant mort, le diable est encore vivant, et, comme trust ingérant et éliminant toute croyance, il risque de ruiner à jamais l'inéluctable devenir-industriel du monde. Il s'agit cependant et d'abord de ne pas diaboliser ce diable. Mais il s'agit de combattre l'hégémonie de la confiance calculante, qui est autophage et ne peut qu'engendrer le discrédit. Car si la mort de Dieu, c'est-à-dire la révélation de son inexistence, n'est pas inévitablement l'annulation de la question de la consistance, avec le développement de l'esprit du capitalisme, le devenir calculable de ce qui projetait, comme existences (comme singularités), les consistances (les idées, les savoirs et leurs pouvoirs), ce devenir, sans cet avenir dont il n'est pas automatiquement synonyme, est ce qui tend à réduire ces consistances en cendres : les cendres de subsistances inexistantes et inconsistantes. Insipides.

 

Telle est la consomption, qu'il faut combattre, comme hégémonie de l'économique, en interrogeant à nouveaux frais la croyance en politique.

 

Cette question est ce qui peut dire oui au devenir, mais à la condition d'y distinguer un avenir avec lequel ce devenir ne coïncide évidemment pas d'emblée. La confusion des deux est précisément la mécréance porteuse du discrédit. C'est ce qui a fait sombrer la classe politique tout entière dans ce cynisme honteux qui réduit la modernité à une pure gestion de la nécessité de s'adapter aux pouvoirs sans savoirs du calcul. Or la croyance ne peut jamais consister qu'en la projection dans et vers ce qui se tient par-delà tout horizon adaptatif et comme ce qui, procédant du pouvoir des idées, est le motif de toute invention véritable, c'est-à-dire de toute ouverture (œuvre, mains d'œuvres) d'un avenir tout aussi possible qu'indéterminé.

 

La question de la croyance en politique doit alors revisiter et distinguer, mais sans les opposer, l'"otium" et le "negotium", en mettant au cœur de la question politique la culture définie comme culte de cette distinction qui n'oppose pas mais qui compose sans renoncer. Il ne s'agit en aucun cas de ghettoïser la culture dans une "politique culturelle", nationale ou européenne, voire mondiale (onusienne), patrimoniale ou "hypermoderniste", dont l'"exception" ou la "diversité" seraient la bonne conscience ou la conscience malheureuse : à l'âge du capitalisme culturel, la politique doit devenir avant toute autre tâche une politique des singularités, pour l'invention d'un nouvel âge industriel, et comme une écologie de l'esprit.

 


Bernard Stiegler est philosophe, directeur de l'Institut de recherche coordination acoustique musique (Ircam).

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1 novembre 2014 6 01 /11 /novembre /2014 09:45

Une nouvelle étude sponsorisée par le Goddard Space Flight Center (Centre de Vol Spatial Goddard, ndlr) de la NASA a mis en lumière la perspective que la civilisation industrielle mondiale puisse s’effondrer dans les décennies à venir, du fait d’une exploitation insoutenable des ressources et d’une redistribution de plus en plus inégalitaire des richesses.

 

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« Les sociétés industrielles sont soumises aux mêmes principes qui ont provoqué l’effondrement d’anciennes sociétés ». J.A. Tainter

« Nous sommes à l'aube d'un monde où la haine et les querelles instestines ne serviront plus à rien, face aux dangers qui nous guettent ». F.T

 

Précisant que les présages d’un ‘effondrement’ sont souvent considérés comme étant marginaux ou polémiques, l’étude essaye de tirer un sens de données historiques irréfutables qui démontrent que « le processus d’essor et de chute est en fait un cycle récurrent à travers l’histoire. » Des cas de perturbations civilisationnelles causées par « un effondrement précipité – durant souvent plusieurs siècles – ont été plutôt communs. »

 

 

Le projet d’étude est basé sur un nouveau modèle inter-disciplinaire « Human And Nature DYnamical » (HANDY – jeu de mots: ‘handy’ veut dire ‘pratique’ en anglais, et l’acronyme signifie ‘basé sur la dynamique entre l’humain et la nature’, ndlr), et est dirigé par le chercheur en mathématiques appliquées Safa Motesharri du National Socio-Environmental Synthesis Center (Centre National de Synthèse Socio-Environnementale, ndlr), soutenu par l’US National Science Foundation (Fondation Nationale US pour la Science, ndlr) et en association avec une équipe de chercheurs en sciences naturelles et sociales. L’étude sur les bases du modèle HANDY a été avalisée pour la publication dans le journal de la maison d’éditions Elsevier Ecological Economics, réputé au sein de la communauté scientifique.

 

Elle expose qu’au regard des annales historiques, même des civilisations avancées et complexes sont susceptibles de s’effondrer, ce qui soulève des questions sur la soutenabilité de la civilisation moderne:

  • « Les chutes de l’Empire Romain, et des Empires de progrès technologiques équivalents (ou plus avancés) Han (Chine, ndlr), Maurya et Gupta (Inde, ndlr), ainsi que de tant d’Empires Mésopotamiens, sont toutes des témoignages du fait que les civilisations avancées, sophistiquées, complexes et créatives peuvent être à la fois fragiles et impermanentes. »

En examinant les dynamiques entre les hommes et la nature de ces cas passés d’effondrement, le projet identifie les facteurs interconnectés les plus saillants qui expliquent le déclin civilisationnel, et qui peuvent aider à déterminer le risque d’effondrement aujourd’hui, nommément la démographie, les conflits sociaux, le climat, l’eau, l’agriculture et l’énergie.

 

Ces facteurs peuvent mener à l’effondrement quand ils convergent pour générer deux aspects sociaux centraux: « l’amincissement des ressources causé par la pression imposée à la capacité de l’environnement à supporter leur extraction »; et « la stratification économique de la société en Élites [les riches] et Masses (ou « Roturiers ») [les pauvres]. » Ces phénomènes sociaux ont joué « un rôle central dans la nature ou dans le processus d’effondrement, » dans tous ces cas sur « les cinq mille dernières années ».

 

Actuellement, de hauts niveaux de stratification économique sont en relation directe avec une surconsommation des ressources, avec les « Élites » basées principalement dans les pays industrialisés responsables des deux:

  • « … les accumulations d’excédents ne sont pas redistribuées de façon équitable à travers la société, mais ont plutôt été sous le contrôle d’une élite. La masse de la population, bien qu’elle produise la richesse, ne s’en voit allouée qu’une petite portion par les élites, en général au niveau du seuil de subsistance, ou juste au-dessus. »

L’étude réfute ceux qui plaident que la technologie résoudra ces défis en augmentant l’efficacité:

  • « Le changement technologique peut augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources, mais il a également tendance à accroître à la fois la consommation par personne des ressources et l’étendue de l’extraction de celles-ci, ainsi que, hors les effets de politiques, les augmentations dans la consommation annulent souvent l’effet de l’amélioration de l’efficacité d’utilisation des ressources. »

Les augmentations de productivité en agriculture et dans l’industrie au cours des deux derniers siècles proviennent « d’une augmentation (et non d’une réduction) du flux de production, » malgré des gains considérables en efficacité au cours de la même période.

 

Modélisant une variété de scénarios différents, Motesharri et ses collègues arrivent à la conclusion que dans des conditions « reflétant de près la réalité d’aujourd’hui… nous trouvons que l’effondrement est difficile à éviter. » Dans le premier de ces scénarios, la civilisation:

  • « … semble rester sur une voie soutenable pendant assez longtemps, mais même en optimisant le taux d’épuisement des ressources et en commençant avec un très petit nombre d’Élites, les Élites finissent par consommer de trop, causant une famine parmi les Roturiers qui provoque éventuellement l’effondrement de la société. Il est important de noter que ce type d’effondrement de type L (du fait de de la forme du graphique l’illustrant, ndlr) est dû à une famine fondée sur l’inégalité qui provoque une pénurie de travailleurs, plutôt qu’un effondrement de la Nature. »

Un autre scénario se focalise sur le rôle d’une exploitation continuelle des ressources, découvrant que, « avec un taux d’épuisement des ressources plus important, le déclin des Roturiers se produit plus rapidement, tandis que les Élites prospèrent encore; mais éventuellement les Roturiers s’effondrent complètement, suivis par les Élites. »

 

Dans les deux scénarios, les monopoles sur les richesses des Élites induisent qu’ils sont protégés des plus « néfastes effets de l’effondrement environnemental jusqu’à beaucoup plus tard que les Roturiers », leur permettant de « continuer le ‘business as usual‘ en dépit de la catastrophe imminente. » Le même mécanisme, arguent-ils, pourrait expliquer comment « les effondrements historiques ont été permis par les élites qui semblent être restées indifférentes à leur trajectoire catastrophique (le plus clairement apparent dans les cas Romain et Maya). »

 

Appliquant cette leçon à notre fâcheuse situation contemporaine, l’étude avertit que:

  • Alors que certains membres de la société peuvent bien sonner l’alarme pour avertir que le système se dirige vers un effondrement imminent, et par conséquent proposer des changements structurels à la société afin de l’éviter, les Élites et ceux qui les soutiennent qui se sont opposés à l’instauration de ces changements, pourraient désigner la longue trajectoire soutenable ‘jusque-là’ pour appuyer l’option de ne rien faire. »

Toutefois, les chercheurs soulignent que les pires scénarios ne sont pas du tout inévitables, et suggèrent que des changements politiques et structurels appropriés pourraient éviter l’effondrement, sinon paver la route vers une civilisation plus stable.

 

Les deux solutions cruciales sont de réduire l’inégalité économique afin de garantir une distribution plus équitable des ressources, et de considérablement réduire la consommation des ressources en s’appuyant sur des ressources renouvelables moins intensives tout en réduisant la croissance de la population:

  • « L’effondrement peut être évité et la population peut atteindre un point d’équilibre si le taux d’épuisement des ressources par personne est réduit à un niveau soutenable, et si les ressources sont distribuées d’une manière raisonnablement équitable. »

Le modèle HANDY, financé par la NASA, offre  aux gouvernements, aux corporations et au monde des affaires – ainsi qu’aux consommateurs – une piqûre de rappel hautement crédible pour admettre que le ‘business as usual‘ ne peut pas être maintenu, et que des changements de politique et des changements structurels sont requis tout de suite.


Bien que l’étude soit grandement du domaine de la théorie, un certain nombre d’études plus empiriques dans leur orientation – par KPMG et le UK Government Office of Science (Bureau Scientifique Gouvernemental Britannique, ndlr) par exemple – ont prévenu que la convergence de crises alimentaires, hydriques (autour de l’accès à l’eau) et énergétiques pourrait susciter une ‘tempête parfaite’ d’ici une quinzaine d’années. Mais ces prévisions de type ‘business as usual‘ pourraient être très conservatrices.

 

  

Une analyse avec Joseph A. tainter, anthropologue :

 

Les éditions « Le Retour aux sources » viennent de publier un ouvrage que l’anthropologue et historien américain Joseph A. Tainter avait écrit en 1988. Ce livre est consacré au sujet récurrent du déclin, de la décadence et de l’effondrement des sociétés et des civilisations ; son intérêt réside dans la thèse novatrice et séduisante que Joseph Tainter expose clairement et qui enrichit considérablement la réflexion sur un sujet difficile et fascinant (B.G.).


 

La décadence : une interrogation éternelle !

 

Depuis l’Antiquité, le déclin, la décadence et l’effondrement des sociétés ont frappé les esprits curieux et inspiré des théories explicatives extrêmement variées. Le nombre et la variété des sociétés ayant connu de tels processus sont extrêmement grands. L’effondrement de l’Empire romain est l’exemple le plus fréquemment cité et celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études, mais l’Empire Zhou a connu le même destin au troisième siècle avant notre ère, tout comme la civilisation Harappéenne de la vallée de l’Indus qui a disparu vers 1750 avant notre ère après 700 ans d’existence, la civilisation mésopotamienne (-1800/-600), l’ancien Empire d’Egypte(-3100/-2200), l’Empire Hittite (-1800/-1100), la Civilisation Minoenne (-2000/-1200), la civilisation Mycénienne (-1650/-1050), la civilisation des Olmèques (-1150/-200) ou celle des Mayas… Des sociétés et des civilisations de toutes tailles et situées dans toutes les régions de notre planète ont disparu plus ou moins rapidement.

 

Parmi les causes du déclin qui ont été proposées par les historiens et les philosophes, on peut citer : la diminution ou l’épuisement d’une ou de plusieurs ressources vitales dont dépend la société ; la création d’une nouvelle base de ressources trop abondante ; les catastrophes insurmontables ; l’insuffisance des réactions aux circonstances ; les envahisseurs ; les conflits de classes, les contradictions sociales, la mauvaise administration ou l’inconduite des élites ; les dysfonctionnements sociaux ; les facteurs mystiques ; les enchaînements aléatoires d’événements ; les facteurs économiques. Joseph Tainter considère que toutes ces causes ne sont que des causes secondaires d’un mal plus profond : la diminution de l’efficacité globale des organisations sociopolitiques complexes.

 

Complexité et énergie

 

Joseph Tainter introduit dans le débat un paramètre essentiel qui a été le plus souvent ignoré par les précédents analystes du déclin :

  • « Les sociétés humaines et les organisations politiques, comme tous les systèmes vivants, sont maintenues par un flux continu d’énergie … Au fur et à mesure que les sociétés augmentent en complexité, sont créés plus de réseaux entre individus, plus de contrôles hiérarchiques pour les réguler ; une plus grande quantité d’information est traitée… ; il y a un besoin croissant de prendre en charge des spécialistes qui ne sont pas impliqués directement dans la production de ressources ; et ainsi de suite. Toute cette complexité dépend des flux d’énergie, à une échelle infiniment plus grande que celle qui caractérise les petits groupes de chasseurs-cueilleurs ou d’agriculteurs autosuffisants. La conséquence est que, tandis qu’une société évolue vers une plus grande complexité, les charges prélevées sur chaque individu augmentent également, si bien que la population dans son ensemble doit allouer des parts croissantes de son budget énergétique au soutien des institutions organisationnelles. C’est un fait immuable de l’évolution sociale et il n’est pas atténué par le type spécifique de source d’énergie ».

Il a examiné l’histoire du déclin de l’Empire romain et de quelques autres sociétés en ayant à l’esprit le paradigme énergétique et en a conclu que ces sociétés n’ont pas réussi à satisfaire leurs besoins énergétiques croissants. Les maux qui ont été énumérés précédemment et qui sont apparus juste avant la disparition de ces entités n’ont pas été, selon Joseph Tainter, les causes mais les conséquences d’un affaiblissement lié à la divergence croissante entre, d’une part, les moyens nécessaires au maintien de leurs structures complexes et, d’autre part, les ressources énergétiques disponibles.

 

 Loi des rendements décroissants et civilisation industrielle

 

Selon la thèse de Tainter, l’investissement dans la complexité sociopolitique atteint un point où les bénéfices d’un tel investissement commencent à décliner, d’abord lentement, puis beaucoup plus rapidement.

  • « Ainsi, non seulement une population alloue de plus en plus grandes quantités de ressources au soutien d’une société en évolution, mais, après un certain point, des quantités plus grandes de cet investissement produiront de plus petites augmentations de rendement. Nous montrerons que les rendements décroissants sont un aspect récurrent de l’évolution sociopolitique et de l’investissement dans la complexité ».

Un chapitre de l’ouvrage est consacré aux observations qui ont été faites au sein de la civilisation industrielle moderne qui est, semble-t-il, elle aussi soumise à la loi des rendements décroissants. Comme les civilisations qui l’ont précédée, cette civilisation connaît une décroissance des rendements de ses investissements. Ainsi le nombre des brevets déposés par habitant ou par scientifique ne cesse de décroître bien que les moyens mis en œuvre pour la recherche et développement n’aient jamais été aussi importants. Ainsi aux Etats-Unis, le nombre d’employés dans la recherche industrielle a augmenté de 560% entre 1930 et 1954, tandis que le nombre de brevets déposés par les entreprises n’a augmenté que de 23% entre 1936/1940 et 1956/1960 ! Cette tendance a été constatée dans une étude portant sur cinquante pays développés et vérifiée dans différents secteurs techniques.

 

Le déclin de notre civilisation est-il inévitable ?

 

Comme nous l’avons écrit précédemment, les observations faites au sein de notre propre civilisation indiquent qu’elle est soumise à la loi des rendements décroissants. Nous avons vu aussi que les sociétés complexes devaient mobiliser toujours plus de ressources énergétiques pour augmenter leur complexité. Notre civilisation, qui est de loin la plus complexe de toutes les civilisations ayant existé, repose sur une consommation d’énergie considérable. Sa complexification a été possible du fait de la découverte des ressources énergétiques fossiles, charbon, pétrole et gaz, et à la mise au point de techniques permettant leur transformation en énergie thermique, mécanique et électrique.

 

L’importance de ces énergies fossiles n’est pas proportionnelle à leur coût actuel (64 milliards d’euros pour un produit national brut de 2000 milliards en 2012 en France) parce que, si l’on en croit Jean-Marc Jancovici qui est professeur d’énergétique à l’Ecole Polytechnique, en l’absence de ces énergies fossiles notre production serait le centième de ce qu’elle est aujourd’hui. Autant dire que notre civilisation repose beaucoup plus sur ces énergies que sur notre génie technique et scientifique. Ceci explique aussi le fait que parmi les pays ayant découvert les premiers les principes de la thermodynamique, ceux qui ont décollé le plus rapidement sont ceux qui disposaient des énergies fossiles les plus abondantes et les plus facilement extractibles.

 

Le problème qui se profile à l’horizon compte tenu de la consommation de plus en plus importante de ces ressources fossiles, c’est leur pénurie qui commence à se faire sentir (on ne parvient plus à augmenter la production mondiale de pétrole bien que tous les robinets soient ouverts en grand). Les débats concernant les réserves de ressources énergétiques fossiles ne sont pas clos mais, ce qui est certain, c’est qu’elles vont s’épuiser. Par conséquent, soit nous maîtriserons rapidement de nouvelles sources susceptibles de fournir des quantités très importantes d’énergie et notre civilisation pourra poursuivre son chemin, soit nous n’y parviendrons pas, auquel cas son déclin sera inéluctable. De plus, nous avons vu ci-dessus que le rythme des découvertes scientifiques diminuait régulièrement malgré l’augmentation continue des moyens mis en œuvre, ce qui, si cette tendance se confirme, pourrait nous condamner à la stagnation. La baisse continue de la croissance des économies les plus développées est peut-être le signe d’un certain essoufflement scientifique et d’un début de pénurie énergétique.

 

Il ne fait aucun doute que la pénurie énergétique cumulée à la stagnation scientifique remettrait totalement en cause l’avenir de la civilisation industrielle et que, dans un tel cas, le retour à une civilisation moins complexe s’imposerait. Le déclin de notre civilisation n’est donc pas écrit mais il est, selon Joseph Tainter, possible :

  • « Si l’effondrement n’est pas pour le futur immédiat, cela ne revient pas à dire que le niveau de vie industriel bénéficie également d’un sursis. A mesure que les rendements marginaux baissent (un processus en cours) jusqu’au point où un nouveau subside d’énergie sera mis en place, le niveau de vie dont les sociétés industrielles ont bénéficié ne croîtra pas si rapidement, et pour certains groupes et nations, il restera statique ou baissera … Bien que nous aimions nous considérer comme des êtres spéciaux dans l’histoire du monde, les sociétés industrielles sont en fait soumises aux mêmes principes qui ont provoqué l’effondrement d’anciennes sociétés. Si la civilisation s’effondre à nouveau, ce sera à partir d’un échec à tirer profit du sursis actuel ».

 Par Bruno Guillard - http://www.polemia.com/

Joseph A. Tainter, L’Effondrement des sociétés complexes, Editions « Le Retour aux sources », 2013, 318 pages.

Le Dr. Nafeez Ahmed est directeur exécutif de l’Institute of Policy Research & Development et l’ateur de A User’s Guide to the Crisis of Civilisation: And How to Save It, parmi d’autres livres. Vous pouvez le suivre sur Twitter @nafeezahmed

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25 octobre 2014 6 25 /10 /octobre /2014 08:27

 

Cet entretien du webzine PHILITT démontre de manière limpide que, malgré les critiques de ses détracteurs, Marcel Gauchet est un penseur complexe qui interroge avec un regard sûr l’époque qui est la nôtre : le monde moderne.

   

 

 

 

PHILITT : Certains considèrent que la modernité commence avec la subjectivité et le cogito cartésien, d’autres comme Péguy situent sa naissance vers 1880, d’autres encore comme Alain de Benoist font coïncider christianisme et modernité. Quand débute-t-elle à vos yeux ?

 

Marcel Gauchet : C’est un problème canonique sur lequel beaucoup d’esprits se sont échinés. Il y a beaucoup de propositions. Vous en évoquez quelques unes, il y en a bien d’autres. Il y a une origine chrétienne de la modernité, je le crois tout à fait, mais une origine n’est pas une entrée dans l’explicite des propositions de la modernité. Il y a un commencement de la modernité qui a été repéré intuitivement il y a assez longtemps. Quand on parle des « Temps modernes » quelle est la date exacte qui permet de les caractériser ? La proposition la plus absurde à mes yeux est la chute de Constantinople. Une coupure importante mais qui ne dit rien de substantiel sur ce qui se passe après. Dans les bons manuels que j’ai utilisés quand j’étais petit, on évoquait les Grandes découvertes : Christophe Colomb, Gutenberg, Copernic… Il s’agit de comprendre ce phénomène afin d’y intégrer tous les critères distinctifs. C’est ce à quoi je me suis efforcé en proposant une perspective permettant de fédérer ces différents critères, à la fois philosophiques mais aussi bien événementiels ou matériels, dans une totalisation qui fait du sens. C’est à ça que répond la proposition selon laquelle la modernité est le mouvement de sortie de la religion. C’est une définition maximale, englobante puisqu’à partir de là, on peut lier des phénomènes a priori sans rapport.

 

René Descartes

René Descartes

 

PHILITT : Qu’appelez-vous exactement « sortie de la religion » ?

 

Marcel Gauchet : La sortie de la religion, ce n’est pas le fait que les gens ne croient plus en Dieu. Ils n’y croyaient pas tellement plus avant ! L’un des premiers signes flagrant de l’entrée en modernité comme sortie de la religion, c’est la Réforme protestante qui va, par contre-coup, susciter la réforme catholique, lesquelles se traduisent par un renforcement de la foi, au sens du vécu personnel, de l’adhésion religieuse des personnes. Mais ce n’est pas parce qu’il y a plus d’adhésion personnelle des individus qu’il y a plus de religion au sens où je veux l’entendre, c’est-à-dire comme mode d’organisation collective. La sortie de la religion, c’est la sortie de l’organisation religieuse du monde. C’est pour ça que nous ne comprenons pas les sociétés anciennes : elles étaient structurées religieusement et définissaient à la fois le type de pouvoir qui y régnait, le type de rapport entre les personnes, la forme des collectivités… C’est l’ensemble de cette structuration qui peu à peu se défait dans un travail qui va occuper cinq siècles jusqu’à nous. Parallèlement à la Réforme religieuse, vous avez un événement qui se signale comme absolument contemporain. C’est le surgissement du politique moderne qui va donner sur un siècle l’émergence de la notion d’État qui est une notion tout à fait moderne. Vous voyez comment un processus politique et un processus religieux changent complètement les données de la foi…

 

PHILITT : Cela rejoint ce que dit Péguy, sur la chute de la mystique dans la politique…

 

Marcel Gauchet : Oui. Mais c’est la moitié de la vérité. Il y a une chute de la mystique dans la politique mais il y a un investissement mystique sur la politique. Péguy en a d’ailleurs été un excellent témoin… Il a oublié ce mouvement premier au profit du second. En mystique, il a cru dans la politique ! Il en est revenu. Mais cela va se poursuivre tout au long du XXe siècle. On y est encore.

 

PHILITT : Processus religieux, processus politique et donc ?

 

Marcel Gauchet : Processus scientifique. À partir de là, vous avez un procédé qui va révolutionner toute la pensée moderne : la science. Copernic, Kepler, Galilée… Cela va nous mener à ce que nous connaissons comme l’institution de la science, laquelle en retour change complètement l’idée de la connaissance. Et c’est là qu’on retrouve le cogito cartésien. Qui est Descartes ? Celui qui tire les conséquences philosophiques de la science moderne. En fonction du fait que nous avons cette nouvelle voie de la connaissance qui s’appelle la science. C’est ça le cogito. Ça ne tombe pas du ciel. C’est une idée inspirée par la pratique scientifique. Il ne faut pas oublier l’émergence, à travers la Révolution anglaise, d’un type de pensée complètement nouveau : l’idée du contrat social qui va engendrer l’individualisme moderne. Vous voyez donc comment, à partir d’une perspective unique, on peut décrire dans leur cohérence une série d’événements théoriques et pratiques. Il faut échapper aux querelles stériles qui cherchent à donner un point de départ unique (Descartes, Luther…).

 

Charles Péguy

Charles Péguy

 

PHILITT : Péguy dit 1880…

 

Marcel Gauchet : Il n’a pas tort. Il a détecté quelque chose de très vrai, une nouvelle étape très forte de ce processus général. Cette nouvelle étape qui va donner le XXe siècle, environ jusqu’à 1980. Et aujourd’hui, nous sommes repartis. Il y a peut-être, en ce moment, un petit Péguy qui nous écrit que le monde moderne commence en 1980 (rire)… Il faut raisonner en terme d’étapes d’un processus largement cumulatif, contradictoire et hétérogène. Je me méfie des gens qui font des scansions. Il faut éviter la naïveté qui consiste à en faire un point de départ absolu. L’étape de Péguy est tout à fait significative. Le monde change en 1880, c’est sûr ! Nous avons mis un siècle à comprendre ce qu’il nous arrivait et c’est reparti aujourd’hui. Nous ne comprenons à nouveau rien à ce qui nous arrive. Nous avons toujours un temps de retard. Il faut en tirer les conclusions et se mettre au boulot.

 

PHILITT : S’il faut parler d’étapes et qu’on considère qu’il est valide de voir dans le christianisme une forme de modernité, quelles sont les étapes qui vont de la naissance de Jésus Christ aux Grandes découvertes ?

 

Marcel Gauchet : Il y en a beaucoup ! La première étape a un nom propre, c’est Saint Paul. Sans Saint Paul, il n’y a pas de christianisme, au sens où nous le connaissons. Deuxième étape : Saint Augustin, c’est-à-dire le christianisme occidental qui va être très différent de celui qui se développe et s’installe à Byzance. Saint Augustin est le créateur d’un certain type de sensibilité moderne, à bien des égards. Notre monde est augustinien. Le christianisme oriental ne va pas être du tout augustinien. Autre étape déterminante, ce qui se passe au XIe siècle avec la Réforme grégorienne, la création d’une nouvelle Église, très différente de tout ce qu’on avait connu jusqu’à présent : la révolution pontificale, comme disent certains historiens. Étape accompagnée d’un argument théologique très puissant, celui de la toute-puissance divine auquel les philosophes vont réfléchir pendant des siècles et des siècles.

 

PHILITT : Pour le christianisme originel, Dieu n’est pas tout-puissant ?

 

Marcel Gauchet : Si, mais c’est un problème de spéculation. Quelles sont les implications rationnelles ? Quel est le sens de cette proposition ? À la fin du siècle, vous avez le théologien qui crée la théologie catholique telle que nous la connaissons : Saint Anselme, esprit absolument extraordinaire. Le XIe siècle que je me propose d’appeler « la grande bifurcation occidentale » engage le christianisme intellectuellement autant que pratiquement dans une voie complètement différente. À partir de là vous avez cinq siècles d’incubation très agités qui vont produire la rupture du début du XVIe siècle. Je pense qu’on peut écrire une histoire tout à fait censée de ce parcours.

 

PHILITT : Quelle est la différence entre un antimoderne et un réactionnaire ? Aujourd’hui on traite tout le monde de réactionnaire.

 

Marcel Gauchet : Oui ! Moi y compris (rire)… L’écrivain (Édouard Louis, NDLR) dont il s’agit n’est qu’un pantin entre les mains d’un manipulateur qui, lui, sait où il va. Le vrai péché mortel que j’ai commis, c’est de porter une main sacrilège sur les maîtres de la subversion que sont Michel Foucault et Pierre Bourdieu. À partir du moment où vous osez dire qu’il n’y a pas, peut-être pas, le meilleur ordre logique dans ce genre de pensées, vous êtes forcément un ultra-réactionnaire.

 

Édouard Louis

Édouard Louis

 

PHILITT : Il faudrait demander à ces personnes ce qu’elles entendent par réactionnaire…

 

Marcel Gauchet : Ils n’y ont jamais réfléchi. Ils sont incapables de produire une définition de quoi que ce soit (rire)… Mais pour revenir à la différence entre réactionnaire et antimoderne… Je pense qu’il y a une vraie différence et qu’elle est tout à fait intéressante. Un réactionnaire, dans la rigueur du terme, est quelqu’un qui est attaché à une forme de société ancienne et qui croit possible d’y revenir : une monarchie, des hiérarchies sociales, des corporations, un ordre familial construit autour de la figure paternelle… Il y aurait donc une forme parfaite, éternelle  des sociétés aux yeux des réactionnaires. C’est un mode de pensée très noble qui a donné des expressions tout à fait remarquables. Il faut être très naïf et inculte pour l’ignorer. L’argument le plus fort est que toutes les sociétés  humaines jusqu’à une date récente ont été organisées comme ça. Il faut donc se justifier fortement si on pense que cet ordre peut être changé. Pour les réactionnaires, les modernes sont des égarés complets qui tentent une expérience suicidaire.

 

Les antimodernes sont beaucoup plus sceptiques que les réactionnaires, d’abord sur les vertus de ce modèle ancien des sociétés. En fait, les antimodernes sont assez modernes dans le sens où ils trouvent que c’est plutôt mieux maintenant (rire)… Ils ne croient pas qu’on puisse revenir à la société patriarcale, nobiliaire, cléricale, monarchique… Mais ça ne les empêche pas de détester le monde qui remplace celui-là. Ils lui sont hostiles esthétiquement. L’homme de la rue n’est pas antimoderne, il est plutôt moderne, plutôt pour le progrès, plutôt pour gagner plus à la fin du mois. Pour les antimodernes, la valeur des valeurs, c’est la beauté, c’est l’art, c’est l’esthétique de l’existence au sens large, ce qui inclut la manière de se conduire.

 

PHILITT : Le dandysme…

 

Marcel Gauchet : Le dandysme bien entendu. Les dandys sont antimodernes. Ils peuvent être avant-gardistes sur certains plans d’où l’ambiguïté mais ils pensent que l’homme moyen tourne le dos au véritable code de l’esthétique existentielle. Il y aurait donc une aristocratie particulière à reconstituer. Pour les antimodernes, le monde moderne est le monde de la laideur, de la médiocrité, de la banalité et, contre cela, ils dressent toutes les valeurs de l’exception. D’où le caractère très littéraire de l’attitude antimoderne. Littéraire mais pas seulement : artistique, artisanal. Une commode Boulle, ce n’est pas une commode Ikea ! La valeur du travail est dans le chef d’œuvre. L’importance du travail bien fait, dans le monde d’aujourd’hui, est évacuée.

 

PHILITT : Y-a-t-il une différence de degré ou de nature entre modernité, post-modernité et hyper-modernité ?

 

Marcel Gauchet : À mon avis, ce sont des mots dépourvus de sens. Distinguons les raisons légitimes pour lesquelles les gens cherchent à faire des scansions dans les séquences temporelles et la valeur de fond de ces catégories. Elles n’ont aucune valeur conceptuelle mais signalent des sensibilités à des moments de rupture réels. Oui il y a eu une rupture vers 1980 lorsqu’on commence à parler de post-modernisme en art, en architecture, en politique, dans les croyances collectives… Appeler ça post-modernité est complètement superficiel. Ce n’est pas faux, mais c’est totalement superficiel. La bonne attitude intellectuelle, c’est d’accueillir avec tranquillité ce genre de choses en se demandant les raisons qui les accréditent. Ce ne sont pas des imbécillités, ce sont des naïvetés. Ce sont des notions journalistiques, épidermiques. Dès qu’on creuse, on découvre que c’est toujours la même modernité qui s’aggrave.

 

PHILITT : Pour Péguy, le monde moderne est le monde qui fait le « malin », un monde à la fois arrogant et mauvais. Rejoignez-vous son point de vue ?

 

Marcel Gauchet : Je crois que cette formule touche à quelque chose d’extrêmement important qu’il faut prolonger. Le monde moderne est en effet arrogant : « Nous, modernes, nous sommes différents des peigne-cul d’avant qui ne savaient pas qu’ils étaient modernes » (rire). Après Péguy, ça ne va pas s’arranger, cela va devenir dramatique. La modernité, c’est l’histoire humaine qui se comprend et qui de ce fait arrive en possession des moyens de se faire complètement. Cela va donner l’idée de révolution telle qu’elle va entrer en pratique au XXe siècle. Grâce à la science, ils pensent pouvoir finir l’histoire. C’est l’idée majeure du XXe siècle, celle qui a fait le plus de dégâts. Le monde moderne ne fait donc pas seulement le « malin », il est aussi victime d’une démesure dans la prétention qui est terrible. Depuis, nous avons fait une petite découverte, très modeste mais qui est en partie responsable du marasme psychologique dans lequel nous sommes plongés. Nous savons maintenant qu’avec le recul chaque époque comprend mieux celle qui l’a précédée. Cela veut dire que nos descendants comprendront mieux que nous ce que nous étions, ce que nous pensions, ce que nous faisions. Nous sommes dépossédés par l’avenir du sens de nos actions et de la compréhension exacte de la situation qui est la nôtre. Voilà en quoi réside à mes yeux le secret de de la dépression de nos sociétés. C’est une perspective très décourageante. Il y a un anéantissement de la confiance collective dans l’action qui me semble un des éléments clés du trouble contemporain.

 

Alain Finkielkraut

Alain Finkielkraut

 

PHILITT : Alain Finkielkraut, dans L’identité malheureuse écrit « Le changement n’est plus ce que nous faisions mais ce qui nous arrive. » Cela rejoint ce que vous dites.

 

Marcel Gauchet : Il s’est en effet produit une inflexion de la marge de nos sociétés qui nous a totalement surpris, que personne n’avait anticipé et dont nous avons été activement acteurs sans nous rendre compte de ce que nous faisions. Nous modernes, comprenons mieux le passé mais est-ce que cela nous donne des éléments pour comprendre notre présent ? La réponse est non. Le monde moderne est sous le signe de l’ignorance. Il ne se comprend pas. Il y a un découragement de l’action qui est terrible. Nous sommes pessimistes mais sans nous l’avouer, ce qui est pire. Nous avons comme une espèce de surmoi qui nous dit « vous n’êtes rien du tout ». Nous sommes angoissés par l’œil du futur posé sur nous.

 

PHILITT : Vous définissez le monde moderne comme le monde de « sortie de la religion », pourtant on semble vivre aujourd’hui un retour à l’intégrisme religieux. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

 

Marcel Gauchet : Ce n’est pas un paradoxe. Le mouvement de sortie de la religion qui concernait jusque là l’Occident devient planétaire. Il arrive de l’extérieur sous un jour peu sympathique (colonial, impérialiste, capitaliste) à des populations qui ne connaissaient comme mode d’organisation collective que cette structuration religieuse qui était le lot de l’humanité depuis qu’on la connaît.

 

PHILITT : C’est une réaction…

 

Marcel Gauchet : C’est une réaction. Tout simplement. C’est en ça que réside la différence entre les nouveaux intégrismes et les religions traditionnelles. Pour lutter contre le monde moderne, les intégristes utilisent les armes du monde moderne. En s’emparant des armes, on s’empare aussi des modes de pensée. Dès lors, il y a une surenchère. Les confessions des anciens otages sur leurs ravisseurs sont très intéressantes. On est loin de la piété. Les intégristes détruisent la religiosité traditionnelle qu’ils prétendent restaurer. Ils sont d’ailleurs perçus comme ça. Les gens qui ont une vraie foi traditionnelle détestent les intégristes. À leurs yeux, ce sont des fous nihilistes.

 

PHILITT : Le corps politique a été supplanté, selon vous, par l’idée de société, au sein de laquelle le politique n’est plus qu’un sujet parmi d’autres, un élément secondaire. Peut-on renverser ce mouvement ?

 

Marcel Gauchet : C’est un des grands changements du monde contemporain. Je ne vais pas refaire l’histoire complète des formes qu’ont pu revêtir les sociétés religieuses du passé mais un de leurs traits les plus frappants, c’est d’être en général dominées par un pouvoir politique qui tombe d’en haut (le divin, les ancêtres…). Un pouvoir vertical qui met le monde en ordre parce qu’il est lui-même en communication avec l’ordre de l’au-delà. Cette structure va survivre à la religion pendant très longtemps dans le monde occidental sous le nom d’État qui est un appareil de domination et de coercition. Il n’est plus autorisé par les dieux mais il domine la société au nom d’une science supérieure de l’ordre qui la conditionne. À partir de la Révolution française,  le pouvoir devient petit à petit une représentation de la société. On élit les gens. Cette société se sépare du pouvoir et devient indépendante. C’est l’essor de l’économie. Désormais, ce qui compte ce n’est plus l’ordre insufflé par le politique, mais la dynamique sociale de l’initiative individuelle. On passe de la domination du politique à la domination de l’économie qui est l’emblème de l’indépendance de la société, laquelle acquiert son nom de société qu’elle n’avait pas. La société, telle que la sociologie basique nous l’enseigne, c’est une notion qui ne s’impose vraiment qu’à la fin du XIXe siècle. Cette société, qui vit sous le signe de l’économie, devient de plus en plus indépendante mais elle subordonne de plus en plus l’appareil politique. Aujourd’hui, les politiques sont les larbins de la société.

 

PHILITT : On rejoint ici la critique de Péguy…

 

Marcel Gauchet : Oui, il a saisi le début de ce phénomène. L’inversion devient absolument manifeste. Peut-on renverser ce mouvement ? Je ne pense pas qu’il faille raisonner ainsi. Le politique n’est plus organisateur par en haut, c’est un fait. Il est maintenant organisateur par en bas. L’infrastructure de nos sociétés, c’est le politique. Pas la politique des politiciens et des marchands de cravates mais le politique, c’est-à-dire un appareil qui fait tenir la société non pas par en haut, par la contrainte, mais par une immense infrastructure. Il y a une mise en ordre fondamentale de la société qui est cachée. Le problème politique de nos sociétés, à mes yeux, est très simple : les gouvernants qui manient cet appareil par en haut ne savent pas ce qu’ils font et les gens le perçoivent. L’enjeu n’est donc pas de renverser le mouvement et de remettre le politique au dessus, c’est de trouver des personnes pertinentes pour gouverner, des personnes qui comprennent le rôle du politique dans nos sociétés.

 

PHILITT : Vous pensez que les politiques méprisent la structure politique que vous décrivez ?

 

Marcel Gauchet : Ils ne la voient même pas. Ils sont irresponsables. Je pense que si François Hollande, qui est par ailleurs un homme fort intelligent, m’entendait, il ne comprendrait même pas de quoi je suis en train de parler. Pour lui, la politique c’est s’arranger avec Cécile Duflot, magouiller avec Martine Aubry (rire)… Du coup, les gens ont l’impression d’avoir élu des individus qui ne comprennent pas quelle est leur fonction. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer un programme politique mais de travailler à la coexistence des individus dans la société.

 

PHILITT : C’est ce qu’on appelle naïvement le vivre-ensemble…

 

Marcel Gauchet : Oui, naïvement. Mais c’est beaucoup plus profond que ça. Vivre ensemble, ça ne va pas du tout de soi. C’est une œuvre énorme, complètement artificielle qui coûte dans nos sociétés modernes entre le tiers et la moitié des ressources nationales. Il faut se demander pourquoi c’est si cher. Au Japon et aux États-Unis c’est un tiers, en France c’est la moitié. Il n’y a donc pas de différence d’essence, mais des différences d’appréciation. Ce qui varie, c’est le niveau de gaspillage. Il y a des gens économes et des gens prodigues. Nous faisons partie des plus prodigues. C’est un titre de fierté nationale comme un autre (rire)…

 

René Girard

René Girard

 

PHILITT : Une crise existentielle ne serait-elle pas le fruit, en dernière analyse, d’une liberté morale anémiée ?

 

Marcel Gauchet : Nous ne sommes pas dans un monde euphorique. Nous sommes de plus en plus riches. Techniquement, de plus en plus puissants. Mais l’avenir de l’humanité ne se résoudra pas par la généralisation de la possession d’un Iphone 8 ! Et pourtant j’ai un Iphone… mais je m’en passerais très bien. L’étrange de notre monde, c’est qu’il est habité par un malaise profond que l’on ne sait pas nommer. À la fin du XIXe siècle, période très troublée, les réponses sont claires. Pour les réactionnaires comme Maurras, c’est parce que l’on vit dans une forme politique aberrante. Pour les marxistes, c’est l’exploitation capitaliste qui appelle la révolution. Pour quelqu’un comme Péguy, c’est la corruption morale de la République. Quelle est la réponse pour notre époque ? Nous avons tous conscience que nous sommes gangrenés par ce que nous dénonçons. Nous n’avons plus la naïveté et la vigueur des hommes du siècle dernier qui pensaient qu’ils pouvaient être radicalement contre. Nous sommes tous complices. Nous n’arrivons pas à nommer ce qui est déréglé dans le monde.

 

PHILITT : Le républicanisme est-il possible dans un monde sans transcendance ?

 

Marcel Gauchet : Ce n’est plus un républicanisme. Il y a plein de gens qui se proposent de redéfinir cette République. Si République veut dire régime sans pouvoir autoritaire alors nous sommes tous républicains. Mais ce n’est pas ça le républicanisme auquel vous pensez, c’est-à-dire un régime guidé par la conscience morale des acteurs. Le républicanisme, ainsi compris, n’est plus possible dans notre monde . Mais cela va au delà de la disparition de la transcendance. Le problème vient de l’effondrement de la dimension morale des relations entre les citoyens au profit de la dimension juridique. Nous sommes dans un monde juridiquement plus exigeant. La République c’est le régime de la morale publique. Si la distinction République / démocratie a un sens, cela revient au déplacement de la morale à la loi. Je pense que c’est un énorme changement dans la manière de concevoir les relations entre les êtres.

 

PHILITT : Comment vous situez-vous sur la question anthropologique ? Êtes-vous pessimiste ou optimiste ?

 

Marcel Gauchet : L’homme est l’espèce contradictoire par excellence. Une chose et son contraire sont vrais. Le premier à l’avoir pointé dans une formule géniale est le vieux Kant : « insociable sociabilité ». Je pense que c’est très vrai. L’homme est l’espèce la plus insociable et la plus sociable. Il est capable du pire comme du meilleur. Il faut comprendre cette contradiction qui nous habite tous et à tout moment. Pourquoi sommes-nous comme ça ? Cela va au delà de la question classique du bien et du mal. Nous sommes travaillés de part en part par des pulsions complètement contradictoires. Le même homme est jouisseur et ascétique.

 

PHILITT : Comment votre pensée s’articule-t-elle avec celle de René Girard ? D’un côté, le christianisme compris comme la religion qui sort de la sacralité archaïque, fondée sur la violence (la désignation du bouc-émissaire fonde un ordre sacré) et, de l’autre, le christianisme compris comme la religion de la sortie de la religion, qui ouvre la voie au désenchantement.

 

Marcel Gauchet : Je pense que nous ne nous articulons pas. Il y a des choses qui se recoupent, il y a  des tas d’analyses intéressantes chez Girard. Mais sa vision du mécanisme universel et du désir mimétique  me laissent perplexe. Elles n’éclairent rien des choses que je cherche à comprendre et m’apparaissent assez triviales. Cette idée du bouc émissaire qu’on nous ressert quotidiennement me convainc très peu. Je rejoins néanmoins son diagnostic sur le fait que le christianisme représente une rupture par rapport à la sacralité archaïque mais j’en fais une lecture complètement différente dans le détail.

 

PHILITT : Nous arrivons aujourd’hui au bout de la logique du désenchantement. Peut-on espérer un retournement, un ré-enchantement ?

 

Marcel Gauchet : S’il faut être optimiste, je ne pense pas qu’il faille aller chercher cet optimisme du côté d’un ré-enchantement. Allons au bout du désenchantement et de l’espèce de liberté qu’il nous donne. Cet exercice de notre liberté sans pareil dans l’histoire est une des choses les plus extraordinaires que l’on puisse souhaiter.

 

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12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 11:33
Des actions non démocratiques... à l'illégalité

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"Les lobbies sont partout. Insidieusement, ils gèrent votre façon de vivre, de consommer, de penser... Ils sont vos croyances, vos modes de vies, à travers vos élus, vos représentants ou vos modèles. Vous croyez réfléchir par vous même : il n'en est rien ! Ils prêchent la bonne parole et seront les maçons de la démocratie dans laquelle vous vivrez demain ; si tant est qu'il reste encore des démocraties dans cette conjoncture économique mondialisée."
Par Thierry Brugvin est sociologue, auteur du livre, Les mouvements sociaux face au commerce éthique, Hermès/Lavoisier 2007 :
Au sein de ces différentes organisations, sous couvert d’un discours sur la ebonne gouvernance", les dirigeants libéraux privatisent les instances démocratiques en privilégiant le dialogue avec les entreprises au détriment des peuples, de leurs représentants, des ONG. Ces différents mécanismes sont mis en œuvre notamment par des pratiques de lobbying non démocratique, mais qui restent pour une large part légales. Cependant, il y a un autre champ qui lui est encore moins analysé, il s’agit de la dimension illégale des pratiques des lobbies nationaux et internationaux. Ce sont donc les différentes formes lobbying politique et économique non démocratique, inégale et aussi illégale que nous allons analyser dans cet article. Nous présenterons donc les différents types et formes d’actions des lobbies, certains réseaux les lobbies, la proximité  des lobbies d'extrême droite et des élites internationales et enfin la puissance des lobbies industriels à l’ONU.
  • Le documentaire France 5 sur le pouvoir des lobbies :

LES DIFFERENTES TYPES DE LOBBIES
 

«La polysémie de l’expression est encore renforcée par l’utilisation de termes souvent interchangeables, comme "groupes d’intérêt" [1], "lobbies", et groupes de pression» [2]. (Grossmann, 2005 : 6) [3]. Certains auteurs tel Grossman, qualifient indifféremment de lobbies, les représentants des entreprises, les syndicats patronaux, les syndicats de salariés, ou les associations. Mais nous écarterons ces dernières ainsi que les syndicats de salariés, de cette définition et nous qualifierons leurs activités de plaidoyer associatif ou syndical, car les intérêts défendus sont d’une autre nature.
 
Parmi les groupes exerçants une activité de lobbying, il faut y ajouter aussi de nombreux bureaux d’études (CEPS, EPC), de cabinets de conseils, d’agences de relations publiques ou d’affaires publiques, car certains travaillent et sont financés par les transnationales, afin d’exercer une influence sur les décisions des élus politiques.
 

Le lobbying participatif
 

Le lobbying participatif consiste à entretenir des contacts étroits avec les personnels politiques, individuellement ou dans le cadre de groupes de travail, au prétexte de les assister dans leur tâche législative ou décisionnelle. Ainsi, ils en viennent souvent à rédiger des lois, qui sont ensuite votées par les élus politiques, ce qui épargne probablement du temps et du travail à ces derniers, mais nuit à l’indépendance des pouvoirs publics. Au plan mondial la BRT – (US Business Round Table-Table ronde des hommes d’affaire américains) est un des plus puissants lobbies. Il a été crée en 1972  et compte les PDG d’environ 200 transnationales, dont 37 des 50 des plus importantes entreprises des Etats-Unis selon le classement de la revue Fortune. Au niveau européen, un des plus puissants est l’ERT (European Round Table), fondé en 1983, il était consitué de 45 « capitaine d’industries », dirigeants de transnationales européennes. Parmi les firmes représentées on comptait dans les années 80, BP, Fiat, Nestlé, Nokia, Philips, Renault, Shell, Solvay, Total, Unilever… Parmi les membres qui sont membres de l’ERT, ou qui y ont appartenu, il y a notamment : Thierry Breton (France Télecom), Antony Burgmans (Unilever),  Thierry Desmarest (TotalFinaElf), Bertrand Collomb, (Lafarge et président du Conseil des affaires pour le développement durable (WBCSD), de 2003 à 2005 et il finance l’ONG WWF à hauteur de 1 million d’Euro par an), Louis Schweitzer (Renault), Peter Sutherland (BP et ancien Dirigeant du Gatt, président d’honneur de la commission Trilatérale)… (Balanya, 2005 : 58).

Les chiffres varient mais la Commission Européenne évaluait à 3000 les lobbies en relation avec elle, en 1992, en 2003 Greenwood (2003) [4] en dénombrait autour de 1500 (mais il y intégrait les associations et les syndicats). Leurs nombres dépassent donc très largement celui des députés européens. En 2008, Bruxelles comptait à présent 15 000 lobbyistes  [5] selon Siim Kallas, le commissaire européen chargé des affaires administratives, d'audit, et de fraude. Certaines sources estiment qu’il y aurait jusqu’à 20 000 (European Agenda, 04/2008 : 17) 26.Kallas estime par ailleurs que l'activité des lobbies et des 2 600 grands groupes d'intérêt qui disposent de bureaux dans la capitale européenne draine un budget « de 60 à 90 millions d'euros » (Kallas, 2008). Or, selon l'estimation de Roberta Baskin, directrice de l'ONG Centre for Public Integrity, à Washington les groupes de pression disposent de bien plus encore, car ils chaque année, ils reçoivent quelque 2 milliards de dollars (Baskin, 2008) [6].
 

Le lobbying idéologique
 

Il s’agit de l’action des groupes de réflexions, des think tanks, telle l’institut Thomas More en France, ou la Société du Mont Pèlerin à l’étranger dont était membre Hayek et qui est a été à l’origine de l’essor du néolibéralisme. Ils ont pour but d’exercer une influence l’idéologie, pour qu’elle devienne hégémonique comme l’explique Gramsci. Fukuyama a ainsi tenté de persuader le monde que le capitalisme était la fin de l’histoire.
 
Les lobbies mixtes : privés et publics ("associations professionnelles" ou "cercles")
 
On les qualifie aussi « d’associations professionnelles » ou de « cercles », car elles réunissant des élites économiques et politiques. Au plan international il y a notamment les rencontres de Davos, les Bilderberg, la Trilatérale et au plan national par exemple, club de l’horloge, le club Vauban, le Siècle…. Ce dernier à été créé en 1944. En sein s’y rencontrent les élites médiatiques, politiques et économiques françaises, tel Alain de Pouzilhac (Havas), Serge July (Libération) ou Patrick Poivre d'Arvor (TF1). Du côté des élites économiques on trouve notamment Bébéar (ancien PDG d'AXA), Maurice Lévy (Publicis), Jean-Marie Messier (ancien membre), Louis Schweitzer (président du conseil d'administration de Renault), Ernest-Antoine Seillière (ancien président du MEDEF)· Ce « cercle », compte des élites politiques de gauche (Alain Fabius, Martine Aubry, Lionel Jospin) et de droite (François Bayrou (Modem), Jean François Copé, Rachida Dati) (La république de lettre, 01-2008) qui sont donc amenés à se rencontrer et à partager leurs idées, lors de réunions hebdomadaires à Paris. Il se crée alors une sorte de fraternité des élites, une certaine connivence idéologique et une "pensée unique" en quelque sorte.
 
Le lobbying co-gestionnaire ou la privatisation de l’intérêt général dans les pouvoirs publics
 On peut éventuellement qualifier la délégation de service public comme une forme de lobbying. En effet, c’est une perte de l’intérêt général et collusion d’intérêts,  entre le secteur privé et le publique, dans régulation déléguée aux acteurs privés par les pouvoirs publics (secteurs des industries d’armement, aérospatiales, de la gestion de l’eau, de l’électricité…).
 

Le plaidoyer associatif : Bingos, Gongos et associations civiques
 

On devrait peut être plutôt qualifier le lobbying associatif de plaidoyer associatif, pour le distinguer de celui des entreprises. On peut distinguer trois grandes formes d’associations exerçant une activité de plaidoyer :
a) les BINGOS : ce sont les Bizness No Governemental’s Organizations, organisations à vocation économique mais pas lucratif (MEDEF, UNICE…
b) les GONGOS : ce sont les GOvernemental’s No Governemental’s Organizations, organisations vivant en grande partie des subventions publiques. À ce titre, elles sont plus ou moins indépendantes.
c) les associations citoyennes (ou civiques) : elles doivent avoir un intérêt public et général vers les plus défavorisés ; être à but non lucratif ; ne pas représenter des acteurs économiques ou étatiques; être indépendantes économiquement vis à vis de ceux qu’elle entend réguler, contrôler et surtout. Mais le critère qui leur donne le plus de légitimité pour représenter l’intérêt général et qui est le plus objectif pour les différencier des deux autres types d’associations est le nombre de leurs adhérents.
 
Certaines associations (ONG) de dimension internationale (OXFAM, le CICR, le WWF, Greenpeace) disposent des capacités financières pour rémunérer des lobbyistes à titre permanent ou à temps partiel pour intervenir dans les instituions internationales afin défendre leurs revendications.
 

LES DIFFERENTES FORMES DE LOBBYING
 

Les relations de proximité entre les acteurs économiques avec les gouvernements
 

Les élites économiques rencontrent souvent les élites politiques. Durant ces rencontres, ils parlent autant de politique que d’affaires, c’est donc des moments propices pour communiquer leurs idées politiques. En plus de leur image forte liée à leur puissance économique, ces dirigeants pèsent directement sur les décisions des dirigeants politiques, car en échange de leurs prêts, ou investissement, ils sont en situation de les assortir de conditions politiques (plus de libéralisme: moins d’impôts, de réglementations...). Lorsque le milliardaire Waleed Bin Tatal a rencontré Jacques Chirac en 2005, il a fait un don de 100 millions de $ au musée du Louvre, pour développer les arts islamiques (M6, 2005) [7].
 

Le  pouvoir des propriétaires des grandes banques vis-à-vis des élus politiques
 

Les banques et les propriétaires des grandes banques (Rockefeller, Rothschild, Morgan...) représentent un des pivots du pouvoir mondial. D’une part parce que ces propriétaires disposent de sommes énormes : Le magazine Forbes décomptait 1125 milliardaires en 2008. (Kroll, 2008) [8]. Ceci leur permet d'acheter potentiellement absolument, tout ce qui peut servir leur objectif de puissance: entreprises, médias, biens divers. Mais de plus, ils ont la capacité de corrompre les dirigeants politiques, qui sont susceptibles de se laissent soudoyer.
 

Exploiter grâce à la menace des dirigeants politiques
 

Il existe plusieurs formes de menaces exercées par les dirigeants d'entreprises privés pour obtenir des lois servant leurs intérêts. Il y a notamment la menace de retrait des capitaux investis dans les entreprises ou dans les marchés financiers nationaux. Certains dirigeants d'entreprise influents, expriment parfois, leurs désaccords catastrophés : nous allons tous faire faillite ou perdre des marchés, cela va créer du chômage… Ce qui influe grandement sur les élus craignant de ne pas être réélus par leurs électeurs déçus.
 
Il y a ensuite les menaces de délocalisation, de lock out (même si on le fait relativement peu dans la pratique). Parfois la menace de délocalisation est utilisée aussi par les dirigeants politiques qui savent que les délocalisations vers les PED ne représentent qu’une danger mineur, proportionnellement à la hausse de la productivité, ou aux importations européennes (Wood, 1998) [9].
 

Le soutien des Etats aux intérêts des grands capitalistes
 

L’Etat sert les intérêts des ETN, notamment pour des raisons d’indépendance énergétique nationale. M. Dominique Perreau, directeur des affaires économiques et financières au ministère des Affaires étrangères a déclaré que généralement "le ministre des Affaires étrangères use de son influence pour défendre les projets des compagnies françaises car l'Etat doit veiller à la sécurité des approvisionnements en pétrole et gaz naturel" (Aubert, 1999).
A l'ouverture, le 27 août, de la XVIe conférence des ambassadeurs de France, le président Nicolas Sarkozy a nettement réorienté l'aide au développement "pour soutenir en priorité le secteur privé » affirme-t-il (Glaser, 2008). Comment souvent avec N. Sarkosy, il affirme tout haut et de manière décomplexée ce qui se passait autrefois dans l’ombre. A cette même conférence
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Son secrétaire d'Etat à la coopération, Alain Joyandet, (qui est aussi un ancien dirigeant d'une entreprise de presse) lui emboîte le pas, il « n'attend plus que le feu vert du Conseil d'Etat pour devenir le vrai patron de l'Agence française de développement (AFD), la tirelire de la politique africaine. Il a d'entrée de jeu déclaré qu'il n'avait pas peur d'être confondu avec le secrétaire d'Etat au commerce extérieur (…). Alain Joyandet a en outre proposé aux dirigeants d'entreprise de les informer en amont des projets qui seront financés par l'aide française. Ils seront également associés à un nouveau "comité des engagements" et - à condition qu'ils ne viennent pas danser au "bal des pleureuses", selon l'expression du ministre -, ils bénéficieront d'un soutien politique (…) » (Glaser, 2008) [10].
 
Les présidents de la république jouent aussi le rôle de VIP pour les grandes transnationales de leur pays. Chirac était accompagné de plusieurs PDG, lors de son voyage en Chine, en octobre 2006. Nicolas Sarkozy fit de même et a ramené pour  20 milliards d'euros de contrats pour  les entreprises françaises, lors de son voyage en Chine en 2007(Les Echos, 26:/11/2007) [11].
 
Une large partie du soutien de la cellule africaine de l'Elysée, vis à vis des dictateurs, des guerres, des déploiements de l'armée française, etc. vise à protéger les intérêts des entreprises françaises.
 
Les gouvernements et les ministères sont parfois doublés par des officines parallèles. C'est le cas du réseau Foccart, travaillant pour Elf, qui dirigeait en sous main tout la politique africaine de la France. Le soutien de l’Etat aux transnationales renforce leur capacité d’exploitation légale et illégale. La cellule africaine de l’Elysée, le Ministère des Affaires Etrangères, de l’identité nationale et de la coopération... qui devraient normalement fonctionner dans la légalité ne respectent pas toujours l’Etat de droit. Par exemple, les observateurs du ministère de la coopération qui ont cautionné les élections truquées au Tchad en mai 2006 (Survie, 2005) [12].
 

S’allier les services d’un élu grâce  aux commissions et rétro-commissions
 

Les commissions sont illégales lorsqu'elles ne sont pas déclarées et que par conséquent elles échappent aux services des impôts des pays concernés. Les commissions et rétro-commissions sont aussi illégales lorsqu'elles rémunèrent un élu ou un administrateur des pouvoirs publics, afin de biaiser un appel d'offre. Cela peut permettre de formuler l'appel d'offre en le l’orientant pour privilégier un candidat, pour obtenir un contrat, au détriment d'autres concurrents ou de l'intérêt des pouvoirs publics de sa nation. A travers ce mécanisme l'acheteur, les intermédiaires et le vendeur s'enrichissent au détriment des pouvoirs publics et des populations, qui paient le coût de la surfacturation.
 
Loik Le Floch Prigent, affirme lui-même dans un livre intitulé “Affaires Elf, affaires d’Etat” (2001), faisant le bilan de son procès, que “l’activité industrielle classique s’accompagne nécessairement de mécanismes qui permettent le financement d’opérations opaques (...). Au sein du groupe (Elf) qui fait deux cents milliards de francs de chiffre d’affaires par an, le volume de ces opérations (occultes) varie de trois cents à huit cents millions de francs). (...) Elf dépensait notamment ces fonds pour obtenir “des permis de forage” dans les pays ou la société n’était pas encore implantée.
 
L’ensemble de ces commissions versées aux officiels du pays, via des intermédiaires, était d’un certaine façon le prolongement de la politique étrangère de la France, notamment dans les pays africains et c’est la raison pour laquelle le président d’Elf en informait la présidence de la république (française), ainsi que les ministres des Finances et du Budget” (Prigent,  55-56) [13]. “Disons que le président d’Elf est à la fois le président d’une société pétrolière et ministre bis de la Coopération. Et c’est justement parce ce que cette société avait un objet politique et diplomatique en Afrique qu’elle a de tout temps financé les services secrets (...). Elf a servi au financement du parti gaulliste, et a même été créé pour ça...” (...). Puis ce fut le tour du parti socialiste. Certaines de ces affaires ont défrayé la chronique judiciaire (affaire Dumas, Deviers Joncourt, Sirven, Elf Thomson, avions renifleurs, affaires des frégates, etc.). (Prigent, 2001 : 54-55 et 63-64). “L’ensemble de la classe politique savait qu’Elf faisait du financement politique”. Les rétro-commissions servaient “à mettre sous influence celui qui les percevait. Au cas où... Au cas une affaire comme l’affaire Elf leur péterait à la figure. Si tout le monde se sert du gâteau, plus personne ne plus rien dire.” (Prigent, 2001, 66-67).
 
Dans le Figaro et le Parisien, les représentants de l’Elysée ont  réagi aux déclarations de Loik Le Floch Prigent de mai 2001,  en affirmant qu’à présent le système avait changé depuis 1995. Cela confirmait donc le fait ce système avait bel et bien existé et donc que l’Elysée en avait bien eu connaissance, sans y mettre fin. On le voit, les intérêts des Etats, siègant notamment au sein des la Banque Mondiale, sont fortement liés à ceux de leurs grandes entreprises transnationales. Car il en va des intérêts nationaux, tels qu’ils sont envisagés par les gouvernements nationaux et les partis politiques dominants. Il s’agit d’une lutte politico-économique entre Etats via leurs entreprises, pour s’assurer entre autres, une indépendance énergétique et se disputer les parts du marché mondial. C’est pourquoi les pouvoirs publics nationaux et  organisations internationales où elles siègent, sont relativement peu regardant sur les pratiques des entreprises qu’elles subventionnent.
 
 

S’appuyer sur les transnationales pour contrôler un Etat
 

Les Etats utilisent aussi leurs entreprises (ou certaines ONG) pour asseoir leur influence. En fait, les transnationales et les Etats s’appuient souvent l’un et l’autre, dans le cadre d’un échange réciproque.
 
Elf-Total va tenter de contrôler les pays visés. Pour cela ces dirigeants vont entreprendre différentes actions illégales ou anti-démocratiques: corruption des dirigeants politiques, co-organisation de scrutins truqués, financement de polices politiques, de gardes dictatoriales... Dans le cadre la guerre froide, Elf-Total servira  au gouvernement, comme instrument pour éviter la propagation du communisme. Ainsi, des firmes françaises, telle Elf-Total chargée d’approvisionner la France en matières stratégiques, sont investies par les services secrets. De plus Elf-Total a aussi largement utilisé les services secrets et  le lobby militaire pour aboutir à ses fins (Verschave, 2003) [14].
 
Lorsque les dirigeants nationaux, tel Reagan, Bush, De Gaulle, Chirac, Mitterrand ou Sarkozy, disent parfois servir la défense de la grandeur nationale, c’est avant tout pour s'assurer à leur nation, un pouvoir d'influence dans les négociations internationales (diplomaties,  institutions internationales. La France a ainsi réussi à placer Pascal Lamy à la tête de l'OMC le 1er septembre 2005.
 
De même la promotion de la langue nationale (la francophonie) est utilisée comme un instrument hégémonique et commercial. En effet, plus une langue est parlée dans le monde, plus l’influence politique et commerciale du pays peut s’accroître.  Enfin, un des buts de la néo-colonisation est aussi de  conserver un cortège d'États clients (un réservoir de votes) permettant à la France d'occuper une position importante dans les institutions internationales, tel l’ONU.
 
 

LES RESEAUX LES LOBBIES ET LES ASSOCIATIONS PROFESSIONNELLES :

 

UN DES NOMBREUX LEVIERS DE LA GOUVERNANCE
 

Les associations professionnelles contribuant à l'élaboration des politiques internationales
 

Les associations professionnelles (lobbies) exercent une influence parfois plus puissante sur les élus, que les électeurs eux-mêmes. En effet, de par leur position sociale, “ leur capital économique, social, culturel, symbolique ", tels que les définit Bourdieu, certains de ces individus, groupes ou lignées, influencent de façon plus ou moins indirecte, une part des décisions politiques et économiques internationales. Quelques-uns sont des leaders politiques de premier plan. Mais la plupart d'entre eux sont généralement inconnus du grand public, bien qu’ils occupent des postes hauts placés dans le secteur professionnel ou politique. Parmi, ces différentes organisations ont peu citer parmi les plus connus: CFR, Trilatérale, Bilderberg, WBRound Table, Bohemian Grove, Skulls&bones... Or ces réseaux exercent une influence parfois plus puissante sur les élus que les électeurs eux-mêmes.
 
Gramsci (1975) a souligné le rôle des intellectuels dans l'hégémonie idéologique et la puissance des think thanks. Ces derniers sont des sortes de club de réflexion qui diffusent des idées. Les think thanks les plus influents, actuellement mettent la puissance de leurs idées et leurs meilleurs intellectuels au service de l’idéologie, des politiques des classes dominantes. Le sociologue français, Michel Crozier a ainsi réalisé, avec Samuel Huntington, un rapport  en 1975, pour la trilatérale (Crozier) [15] .
 
Les dirigeants de la CCI, tel Maucher, ceux de l’ERT, et, des ETN telles Nestlé, Shell ou Unilever participent régulièrement aux rencontres de Davos et du groupe Bilderberg (Balanya, 2005). C'est dans ces lieux où se forgent les idées néo-libérales au plan mondial que ces derniers se réunissent tous les ans (Gill, 1990 : 127).
 
Le groupe Bilderberg, fut créé en 1954, grâce à un cofinancement de Unilever et de la CIA.  Selon le politologue Stephen Gill, Il a pour but “d’encourager des discussions ouvertes et confidentielles (...) entre les nations de l’axe atlantique" (Gill, 1990 : 127) [16] en particulier les Etats-Unis et l’Europe de l’Ouest. Selon un ancien délégué du groupe, le consensus élaboré au sein de ce forum sert de base à l’évolution des politiques internationales. Bilderberg “compose la toile de fond des politiques qui sont mises en place par la suite. Ainsi, le Forum économique mondial à Davos en février, les rencontres Bilderberg et du G8 en avril-mai et la conférence annuelle du FMI et de la Banque Mondiale en septembre. Une sorte de consensus international émerge (...). Ce consensus devient la toile de fond des communiqués du G8; il inspire le FMI lorsqu’il impose le programme de réajustement à l’Indonésie, et la politique que le Président américain propose au congrès” (Armstrong, 1998) [17].
 
David Rockefeller fut le fondateur du Bilderberg, puis de la Commission Trilatérale. "Ces deux lobbies sont les véritables architectes de la mondialisation néo-libérale” selon M. R. Jennar (2005) [18]. D. Rockefeller a déclaré à Newsweek international, “quelque chose doit remplacer les gouvernements et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire” (Rockefeller, 1999). “Ce même personnage avait déclaré huit ans plus tôt devant la Commission Trilatérale: la souveraineté supranationale d’une élite intellectuelle et de banquiers est préférable au principe d’autodétermination des peuples” (Jennar, 2005 : 17). En effet, ces derniers sont considérés par certaines élites, tels les certains experts de la gouvernance européenne comme “ignorants, émotifs et versatiles, comme nous le rapporte Hermet (2003 : 16) [19]. C’est donc, pour leur éviter de commettre des erreurs nuisant à l'intérêt du peuple lui même, que les élites proposent d’ériger la gouvernance, par les seuls experts et les élites économiques et politiques.
 
La vision de Nietzsche illustre bien celles de certaines élites, tel Rockefeller. Pour Nietzsche, la démocratie est un fléau pour l'humanité, car elle inaugure le pouvoir de la masse, du peuple ignorant (Nietzsche, 1976). Spencer, un contemporain de Darwin, considérait que la loi du plus fort était une loi naturelle, qui devait s'appliquer aux sociétés humaines. Ne favoriser que les élites est préférable pour le développement de l'humanité, car c'est le sens de l'évolution naturelle, la sélection naturelle du plus fort sur le plus faible. Par conséquent,  l'aide sociale, les services sociaux, l'école publique, sont nuisibles à l'humanité, car ils viennent gaspiller des ressources nécessaires pour développer les qualités des élites (Spencer, 1889). [20]
 
Romano Prodi figure notamment parmi ces élites. En 2006, il dirige  l’Italie, or il a été auparavant membre du comité de direction du groupe Bilderberg. Avec Pascal Lamy, actuel directeur de l’OMC et autrefois représentant de l’UE à l’OMC, ils ont à participer aux réunions du groupe Bilderberg en 2001 et 2003.
 
 

Passage régulier d’un statut de représentant d’un intérêt particulier à celui de défenseur de l’intérêt général
 

Tous les ans, les représentants de BP, Exxon, Shell, Unilever se rendent à la réunion annuelle du groupe Bilderberg (Balanya : 2005 :292). En 1997, son comité de direction était notamment composé  de Peter Sutherland (ex-directeur du Gatt), du PDG de BP, d’Henry Kissinger, de James Wolfensohn (ex-directeur de la Banque Mondiale), d’Etienne Davigon...
 
Ce dernier illustre l'omniprésence de ces réseaux privés et de ces élites non-élues dans l'élaboration des politiques internationales par les pouvoirs publics. Il présidait le Groupe Bilderberg en 1999 et était membre du comité directeur en 1997 (Balanya, 2005 : 293-292). Il a été membre de l’ERT (European Roundtable) et  commissaire européen à l’Industrie de 1977 à 1994 (Balanya, 2005 : 68).  Ce passage régulier d’un statut de représentant d’un intérêt particulier à celui de défenseur de l’intérêt général n’est pas véritablement compatible, puisque leurs intérêts sont généralement contradictoires.
 
Quant à la Commission Trilatérale, elle a été créée en 1973, par les membres du groupe Bilderberg. Selon Stephen Gill, elle a été conçue comme une structure plus formelle et efficace que le groupe Bilderberg visant à propager les mêmes idées néo-libérales, c’est à dire celles du “Consensus de Washington” (Gill, 1990). David Korten ajoute que David Rockfeller fut aussi le principal instigateur de la commission Trilatérale, dont il tient la présidence durant les années 80. A la même époque, il présidait le Conseil pour les relations extérieures (Concil Foreign Relations (CFR)) qui regroupe des dirigeants d’entreprise des Etats Unis qui “contrôle plus de la moitié des richesses du pays” (Korten, 1995) [21].
 
Parmi les dirigeants les plus connus figurent  Jimmy Carter, Bill Clinton, Georges Bush, Alan Greespan, Paolo Fresco (Fiat), Daniel Jansen (Solvay), Bjorn Svedberg (Ericsson), Etienne Davignon [22]. Selon Stephen Gill, les membres de la Commission Trilatérale cherchent aussi à y déterminer les politiques économiques qui seront adoptées aux niveaux nationaux et internationaux par les dirigeants politiques. Or, les entreprises à vocation nationale et les organisations de travailleurs y sont sous représentées (Gill, 1990). Précisons cependant, que le pouvoir des réseaux et des lobbies, n’est pas si important que certains voudraient le penser. S’ils disparaissaient, cela n’aurait qu’un impact relatif, dans la mesure, ou il ne sont qu’un aspect, parmi une bonne dizaine d’autres formes de gouvernance non démocratique.
 

La puissance des réseaux contre la démocratie ?
           

Après sa victoire aux élections présidentielles, Nicolas Sarkosy invite au Fouquet's, un palace parisien, les membres les plus proches de son réseau. On y trouvait notamment: B. Arnault, Bolloré, Dassault, Decaux, Bouygues (Parain d'un de ses fils), Desseigne (Barrière), Bernheim (Generali), Desmarais (Power Corporation), Kron (Alsthom), Frère (Suez), Proglio (Véolia)... (Chemin, 2005) [23]. De même au mariage de la fille de Bernard Arnaud, le 22 septembre 2005j, le magasine Paris Match, rapporte que 6 ministres en exercice étaient présents. Michel  et Monique Pinçon, dans leur livre sur les grandes fortunes, montre que la richesse ne repose pas seulement sur l'argent mais sur des réseaux sociaux et un capital de privilèges socioculturels transmis par des dynasties familiales (2006). Cet aspect dynastique n'est pas sans rappeler les pratiques de la noblesse et de la royauté. Les privilèges officiels de l'aristocratie ont disparu pour la plupart (excepté pour certaines familles royales), mais cette pratique dynastique se perpétue, au plan social, économique et souvent même sur le plan du sang (mariage entre nobles).

Parallèlement aux réseaux politiques, on trouve des réseaux économiques. Par exemple dans les relations entre la France et l’Afrique, les réseaux les plus influents sont ceux d’Elf-Total, Bolloré-Rivaud, Bouygues, Castel… Les réseaux religieux et ésotériques ont aussi leur place. Il y a notamment les groupes catholiques, le Vatican, l’Opus Dei, la Loge P2…
 
Le réseau francs-maçons, en France et dans le monde, contribue parfois à limiter l'impartialité des juges. Le magistrat, Eric de Montgolfier, a dénoncé certains agissements, puis en janvier 2004, le magistrat Bernard Bacou décide de saisir lui-même le conseil supérieur de la magistrature au sujet de doyen des juges d’instruction du tribunal de Nice, en l’accusant d’impartialité et de solidarité criminelle entre des prévenus et lui-même. En effet, ce juge était membre des francs-maçons et jugeait une affaire dans laquelle l'accusé était lui même membre des francs-maçons. Or un des premiers serments de la franc-maçonnerie est le serment de solidarité (Etchegoin, 2004) [24]
 

LA PROXIMITÉ  DES RÉSEAUX D'EXTRÈME DROITE ET DES ÉLITES INTERNATIONALES
 

L'idéologie fasciste: un capitalisme totalitaire
 

Parmi les hauts dirigeants économiques et politiques mondiaux, on relève une proportion importante de personnalités favorables aux idées d'extrême droite (royaliste, fasciste, nazie...). Ces dernières convergent autour de différents points communs. L'idée centrale repose sur une vision naturaliste, d'un darwinisme social, d'un monde naturellement hiérarchisé.
 
Ce serait donc une erreur de chercher, comme le font les communistes, à égaliser les conditions des hommes. Ainsi, ils estiment que les décisions ne doivent pas être prises par le peuple (suffrage universel, démocratie parlementaire) mais qu'il faut confier le gouvernement aux seules élites politiques et économiques (les grands capitalistes), car disposant seuls des compétences nécessaires (Pannekoek, 1998).
Chez les nazis, il  a de plus l'idée d'une hiérarchie entre les races. La race blanche supérieure est élue par Dieu, pour diriger le monde. D'où la nécessité de la recherche de la pureté du sang (droit du sang) pour protéger un groupe (dynastie monarchique, race blanche, race aryenne...), que l'on retrouve dans le noblesse (le sang bleu) et la monarchie... (Hitler, 1925) [25]
 

L’influence des  réseaux d'extrême droite en France et dans le Monde
 

Des commissions parlementaires, en Italie, en Suisse et en Belgique ont mis en lumière  l'existence des réseaux Stay Behind (Gladio en Italie) crées par la CIA après la 2e guerre mondiale, afin d'exfiltrer les anciens nazis, tel Klaus Barbie, dont les compétences pouvaient leur être utiles (Erdman, 1991) [26]. Le service action des services secrets français  (le 11e Choc du Sdece) a chapeauté les  membres du réseau Stay Behind français. Ce dernier a longtemps été commandé par le général Paul Aussaresses, dépendant en fait de l'OTAN, par le biais du colonel Foccard. Parmi ces membres on retrouve François de Grossouvre (DGSE, puis conseiller de Mitterand) (Verschave,  2003, 34).

La CIA s'est aussi appuyée sur des sectes à l'idéologie d'extrême droite (temple solaire avec Joseph di Mambro, Luc Jouret (Agent secret Belge) (Deloire: 1999) [27]. Le très secret OPC (Bureau pour la coordination politique) des Etats Unis, dirigea différents réseaux dont les Stay Behind, provoqua le prise de pouvoir des juntes latino-américaines (généralement à l'idéologie d'extrême droite), utilisa les hautes instances franc-maçonnes notamment à travers la la Loge P2 (dont fit parti Silvio Berlusconi), la mafia, le Vatican  (Ganser, 2007) [28]. Michele Sindona fut le banquier en chef de la Mafia et aussi le fondé de pouvoir du pape Paul VI. Roberto Calvi prit le relais avant d'être pendu. L'exfiltration d'Europe de certains agents fascistes fut réalisée par le Saint Siège, sous la responsabilité de Mgr Giovanni Battista Montini (le futur Paul VI). Depuis sa création la CIA entretient des relations privilégiées avec le Saint siège. Après le dernier Consistoire, ce fut par le biais du Cardinal Avery Dulles, lui même fils de John F. Dulles (Verschave, 2003 : 37).
 
Les frères Dulles étant eux-mêmes cousins des Rockefeller, puis John F.Dulles fut président la Rockefeller Fondation. Il fut directeur dans les années 30 de la Colidated Slesian Steel Compagny dont l'industriel nazi Friedrich Flick possédait 66%)  (Bureau d'Etudes, 2004) [29].
 
Pour créer son réseau européen, Allen Dulles s'appuya sur la Grande Loge Suisse Alpina. Cette loge franc-maçonne élitiste, dont Jacques Chirac semble être membre (FXV, NC, 36). En France, le représentant en France de l'Opus Dei, fut Geoffroy Chodron de Courcel (l'oncle de Bernadette Chirac) (Verschave, 2003 : 47).
 

L’idéologie d'extrême droite au sein des réseaux internationaux
 

Il existe plusieurs associations professionnelles qui réunissent les élites politiques et économiques et contribuent à  dresser les grandes orientations mondiales comme le CFR, la trilatérale ou le groupe Bilderberg. Ce dernier a été lancé en 1954  par David Rockefeller et le prince Bernard des Pays Bas, qui est un ancien officier SS et un espion allemand pour le compte du département d'espionnage NW7 opérant au sein de l'entreprise IG Farben qui participait au fonctionnement d'Auschwitz (Sutton, Antony, 1980 : 182) [30].
 
Allen Dulles, qui n'hésite pas à collaborer avec d'anciens nazis, est membre de la société secrète "Skull and Bones" (le crâne et des os) dont font partie John Kerry (le candidat au présidentielle US de 2003), les Bush grand père Prescott, père et fils (même s'ils n'affichent pas officiellement ce type d'idéologie). Durant l'initiation, explique Robbins, les nouveaux adeptes "découvrent les décors du tombeau constitué d'objets et notamment d'emblèmes nazis gardés comme des reliques" (Robbins, 2005). [31]
 
Jusqu'en 1936, plus de 100 firmes américaines furent impliquées dans le financement de l'armée allemande fasciste. Il y avait notamment General Motors, Ford, Du Pont.  En France, de nombreuses entreprises telles, Schneider en France ont financé le fascisme allemand avant et pendant la guerre, ou encore l’entreprise Renault qui a été nationalisée après la guerre pour avoir collaboré avec les occupants nazis.

Les membres des Skull and Bones sont présents à la CIA et "dominent les institutions financières comme J.P Morgan, Morgan Stanley, BB Harriman, qui comptaient à une époque plus d'un tiers de membres appartenant à Skull & Bones parmi ses associés. C'est à travers ces compagnies que les Skull & Bones ont apporté leur appui financier à Adolf Hitler, car la société suivait à l'époque la doctrine nazie et aujourd’hui néo-nazie (Robbins,  2005 :15).
 

L’idéologie d'extrême droite au sein des réseaux des élites françaises
 

En France, par exemple on observe une convergence idéologique autour des idées d'extrême droite dans plusieurs organisations françaises. La proportion des partisans de l'extrême droite est  plus importante au sein de l'armée, des services secrets (la DRM (Direction des renseignements militaires), la RDPS, la DGSE). De même une large partie des mercenaires français défend des idées d'extrême droite. Cette proximité idéologique facilite le passage entre les groupuscules fascistes et ces instances. Par exemple, François de Courcelles a été un  haut gradé dans l'armée, au sein de la DGSE, puis il a travaillé pour François Mitterrand, comme garde du corps pour Madame Pinjeot (la seconde femme de François Mitterrand), puis comme responsable du DPS (le service de sécurité du Front National) et enfin comme conseiller d'un président africain (Verschave, 2000) [32]. La proximité des deux acronymes DPS et RDPS n'est pas le fruit du hasard. Les membres du DPS souhaitant ainsi montrer leur filiation au RDPS. Ainsi, on observe une continuité idéologique autour des idées de d'extrême droite au sein de l'armée, en particulier les hautes instances de l'Etat Major militaire.
 
De même le SAC (le service d'action Civique) a été créé en 1959 par Foccart et Pasqua (dont il devient le vice président en 1967) avec Etienne Léandri (Verschave, 2000, 418) et au service des intérêts de De Gaulle. Il a regroupé un large partie d'anciens collaborateurs de l'Allemagne Nazie tel Paul Touvier (Verschave, 2003 : 34). Lorsque Charles Pasqua est devenu ministre de l'intérieur  en 1992, L'influence des réseaux d'extrême droite s'est renforcée.
Jean Charles Marchiani était au bureau du RPF (présidé par Pasqua), et a conduit un temps liste du FN à Toulon (Nice Matin, 4 janvier 2000). Il est pro-algérie française, catholique de droite. Il a été aussi membre de la DGSE jusqu'en 1969, préfet, conseiller de Charles Pasqua lorsqu'il était ministre de l'intérieure (Verschave, 2000 : 429). En 2008, il demande l'amnistie présidentielle pour échapper aux sanctions pénales qu'ils doit assumer (il est notamment accusé d'avoir reçu des commissions illégales dans les ventes d'armes (Thomson, Falcone).
 
 

LA PUISSANCE DES LOBBIES INDUSTRIELS A L’ONU
 
La dépendance financière de l’OMS et de l’UNICEF vis à vis de entreprises privées
 

Nous allons voir que l’ONU et l’OMS subissent parfois de graves dérives. Or,  l’Etat français dispose d’une part non négligeable de responsabilité dans la mesure où il est représenté au sein du conseil d’administration de l’OMS et qu’il dispose du droit de veto au conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier s’avère l’organe le plus puissant de l’ONU, mais aussi le moins démocratique.
 
Malgré ses faiblesses, l’ONU est parvenue à de grandes réussites au service des plus pauvres. Pourtant, l’ONU, du fait de son influence, est l’objet de tentative de contrôle de la part des Etats dominants et de leurs transnationales, au sein du conseil de sécurité et de chacune de ses agences.
 
Christian Joly rappelle les positions des organisations de solidarité internationale vis-à-vis de l'OMS : celles ci "continuent à voir la main des multinationales dans divers programmes de l'organisation. La collaboration de l'OMS, avec les firmes multinationales, est considérée comme une soumission aux lois du marché, au détriment de la satisfaction des besoins des populations » (Joly,:244-245) [33] Or, à la différence du financement par l’impôt, le partenariat et le mécénat des organisations internationales publiques par des intérêts privés, tel Rockefeller, portent le risque de fausser les décisions, au détriment de l’intérêt général, de l’indépendance des pouvoirs publics. Le 19 juillet 2002, l'UNICEF et la multinationale MacDonald's ont annoncé leur collaboration, dans la création de la première Journée mondiale des enfants de Mac Donald's (Balanya, 2005 : 363).
 
 

Le lobby nucléaire aux commandes de l’AIEA et de l’OMS
 

« Depuis la signature, le 28 mai 1959, de l'Accord OMS-AIEA (WHA 12-40), l'OMS paraît soumise à l'Agence Internationale de l'Energie Atomique (AIEA), pour ce qui concerne les risques liés à la radioactivité artificielle, notamment dans l'étude des conséquences sanitaires de l'explosion de Tchernobyl. Professionnels de la santé » (www.Independentwho, 2/12/ 2007).
 
Cet accord du 28 mai 1959 contraint l’OMS, avant toute déclaration publique portant sur les problèmes de santé liés au nucléaire, à consulter auparavant l’AIEA, afin de « régler la question d’un commun accord ». L’article III « prévoit de prendre certaines mesures restrictives pour sauvegarder le caractère confidentiel de certains documents ». L’AIEA est elle même sous l’influence de l’industrie nucléaire civile (Areva) et militaire (www.Independentwho, 22/03/2007).
 
« Pour les projets de recherche, "régler la question d'un commun accord" avec l’AIEA, conduit à censurer l’expression de l'OMS, dans le domaine des accidents nucléaires (…).
 
Ceci explique qu’en 1995, l’AIEA contestait les morts et les cancers de la thyroïde chez les enfants vivant à proximité de Tchernobyl. Sous la pression des chercheurs et des associations, à partir de 1996, les chiffres officiels commencent à évoluer.  Or, « Le Médecin chef de la Fédération de Russie signalait, en 2001, que 10% des 184.000 liquidateurs russes étaient décédés et qu'un tiers était invalide. L'Ukraine a fourni 260.000 liquidateurs. Selon le communiqué de presse de l'ambassade d'Ukraine à Paris, publié le 25 avril 2005, 94,2% d'entre eux étaient malades en 2004. « Lors des Conférences de Kiev en 2001, on apprenait que 10% de ces travailleurs sélectionnés étaient décédés (la moitié étant de jeunes militaires) et qu'un tiers était gravement invalide, leur situation se détériorant rapidement » (www.Independantwho,2007). Enfin, selon Alla Yarochinskaga il y a eu « 70 000 mineurs dont la plupart sont morts en plaçant des tuyaux de refroidissement sous la dalle du réacteur pour éviter une explosion thermonucléaire » (Yarochinskaga, 2004).
 

Les lobbies du tabac et de l’amiante mettent l’OMS sous pression
 

Parallèlement aux lobbies nucléaires, les lobbies du tabac et de l’amiante ont exercé une influence considérable sur l’OMS. Une série de procès contre les industriels du tabac s’est tenue aux Etats-Unis. Par exemple, Entre 1996 et 2003 sur 40 procès jugés, 12 procès ont été perdus par l’industrie du tabac, pour un montant de 377 millions $ d’amende, contre Philip Morris (groupe Altria) et Brown & Williamson. « Ces procès lancés aux États-Unis contre des fabricants de tabac, dans les années 1990, ont permis de découvrir des millions de documents internes et confidentiels révélant les comportements délinquants de l’industrie du tabac. Ces documents ont dévoilé les stratégies des industriels du tabac pour contrer les politiques de santé publique. Ils ont, en effet, délibérément caché qu'ils savaient depuis les années 1960 que la cigarette était nocive, que la nicotine engendrait une dépendance physique importante et qu’ils jouaient sur la teneur en nicotine des cigarettes pour en augmenter les effets » (Toxic-corp, 2007).
 
Gro Harlem Bruntland, lorsqu’elle dirigeait l’OMS en 2000, a demandé un rapport sur le rôle de l’industrie du tabac. Ce rapport, publié le 2 août 2000, accuse l’industrie du tabac d’être "active, organisée et calculatrice" de "saper son action pour la santé", de "subversion" de l’OMS. En effet, la liste des stratégies adoptées est longue. « L’industrie du tabac aurait donc tenté d'influencer les membres de l'OMS, en leur offrant des emplois et ainsi tirer avantage de leurs contacts avec l'Organisation pour influencer le contrôle du tabac par celle-ci,  faire pression sur les budgets de l'OMS consacrés à ce contrôle, infiltration, espionnage, propagande, falsification,  campagnes de dénigrement,  financements philanthropiques pour gagner les faveurs de l'OMS, (ex : campagnes de vaccination), utilisation d'autres agences de l'ONU ou de la Banque mondiale pour obtenir des informations ou faire pression sur l'OMS » (Zeltner, 2000).
 
 

Le contrôle des naissances  au FNUAP et à l’OMS, sous l’influence des lobbies
 

Selon Malthus, compte tenu du fait que « la population augmente plus vite que les subsistances, il ne faut surtout pas courir le risque d'un accroissement de la population en aidant les pauvres »  (Malthus, 1798). Galton, cousin de Charles Darwin, applique cette théorie aux hommes. Il crée, en 1883, le mot eugénique (art de bien engendrer). Selon Galton il faut intervenir pour favoriser la procréation des plus doués, c'est-à-dire de ceux qui réussissent - et, parallèlement, freiner la procréation des pauvres, c'est-à-dire de ceux qui échouent, qui ne devraient pas survivre (Galton, 1989).
 
Dès la fin du XIXème siècle, des voix s'élèvent en Angleterre pour demander la stérilisation des sujets porteurs de défauts. A cette époque, l’américaine Margaret Sanger (1879-1966) recommande la stérilisation des faibles d'esprit, des gens atteints de maladies héréditaires, sinon aux Etats-Unis et au plan international, les races autres que la race blanche, occidentale, anglo-saxonne risquent d'envahir le monde. Sanger a forgé l'expression Birth Control (contrôle des naissances) et en a largement propagé l’idée, dans un perspective féminisme, néo-malthusianiste et eugéniste. Cependant, comme Malthus et Galton, Margaret Sanger ne remet pas en question les inégalités sociales. Leur conception s’oppose donc à une politique sociale de stabilisation démographique fondée sur une répartition des richesses, permettant l’accès à l’éducation, à l’emploi pour tous et à l’émancipation des femmes.
Dès 1913, Rockefeller  finance des recherches sur le contrôle des naissances  et crée également la plus grosse organisation privée qui va s'occuper entre autres de contrôle de la population: la Rockefeller Foundation (Rockefeller, 2008).  John D. Rockefeller III  fondera « le Population Council en 1952 (Population Concil, 2008) qui influencera jusqu’à aujourd’hui les programmes démographiques de l’ONU, tel le FNUAP. Enfin l’Assemblée générale des Nations Unies a également accepté les 8,5 millions de dollars qu’offrait John D. Rockefeller Jr. à l’organisation pour qu’elle puisse acheter le terrain où elle se trouve actuellement » (ONU, 2008) : ainsi cette organisation sera installée de manière permanente aux États-Unis.
 
Sir Julian S. Huxley (1887-1975), a été vice-président de l’Eugenics Society de 1937 à 1944, puis  Premier Secrétaire Général de l’UNESCO, de 1946 à 1948 et à nouveau président de l’Eugenics Society de 1959 à 1962. Il fut d’autre part le fondateur du World Wildlife Fund (WWF) (Cavanaugh-O'keefe, 1995). Ce dernier déclara au sujet des populations les plus pauvres que « bien trop fréquemment, ils doivent être assistés par des fonds publics, et deviennent un fardeau, pour la communauté (…), des tests d’intelligence et autres ont révélé qu’ils ont un Q.I. très bas; (...) Ici encore, la stérilisation volontaire pourrait être utile » (Huxley, 1946).
 
Le Rapport Kissinger de 1974 expose la politique des Etats Unis de l’époque. Il affirme que les pays du Nord sont menacés par les pays du Sud, pauvres, mais beaucoup plus peuplés. D'où, la nécessité impérieuse de contenir, c'est-à-dire brider la croissance démographique du Sud. On observe ainsi, des similarités entre les rapports actuels du FNUAP et le rapport Kissinger, établi en 1974. Y-aurait-t-il des parentés idéologiques ou non ?
 
L’influence des lobbies industriels, à l’ONU, ne se limite pas à l’OMS ou au FNUAP. L’affaire «du programme pétrole contre nourriture » de l’ONU a éclaté, en janvier 2004. Dans son dernier rapport, le 7 septembre, la Commission d’enquête indépendante mise en place, en avril 2004, par Kofi Annan, a dénoncé une conduite «illicite, non éthique et corrompue» au sein de l'ONU et blâmé le secrétaire général Kofi Annan, lui-même, pour ses négligences et ses erreurs. «Notre mission était de chercher des fautes de gestion, dans le programme «pétrole contre nourriture» et des preuves de corruption au sein de l'ONU et par des entreprises sous contrat. «Malheureusement, nous avons trouvé les deux», a déploré son président, Paul Volcker (Rosett, 2005). « Dans un précédent rapport, en août, la Commission avait établi que le Chypriote Benon Sevan, lorsqu’il était responsable du programme «pétrole contre nourriture», avait empoché près de 150 000 dollars en pots-de-vin » (Mauriac, 2005).
 

Le global  compact de l’ONU : une privatisation de la régulation des normes sociales
 

Le Global Compact est un instrument qui contribue au développement de la bonne gouvernance néolibérale. Au cours du Forum Mondial de l’Economie de Davos, le 31 Janvier 1999, Kofi Annan, le Secrétaire Général des Nations Unies, a proposé au monde des affaires, de mettre en oeuvre le Global Compact (le pacte global). Plus de 3 700 entreprises venant de 120 pays différents, adhéraient en 2007 au Global Compact. Parmi les dix principes du Global Compact, deux  concernent les droits de l’homme, quatre sont destinés aux droits des travailleurs, trois concernent l’environnement et le dixième porte sur la lutte contre la corruption. Le Global Compact étant une forme de  code de conduite élaboré par les pouvoirs publics internationaux. Les transnationales, telle Nike, Nestlé, ou Total qui l’ont adopté s’engage volontairement à le respecter, mais il n’est prévu de dispositif de vérification, ni de sanction.
 
Cette politique de nature néo-libérale se décline sous de multiples formes. Par exemple, le “partenariat” avec les ETN se développe aussi dans le secteur de l’environnement, comme on a pu l’observer au sommet de Johannesburg, sur le développement durable, en 2002. Le choix consiste à déléguer, aux acteurs économiques privés, certaines des fonctions traditionnellement dévolues au service public (service des eaux, retraitement des déchets, production énergétique..). D’une part, cela représente une orientation de politique économique très spécifique. Mais d’autre part, cela transforme la nature même des organisations internationales publiques qui deviennent des partenaires des entreprises privées, plutôt que des autorités de régulation au service du peuple et de l’intérêt général.
 
En effet, même si elles n’appliquent pas le Global Compact, les entreprises disposent du droit de placer le logo de l’ONU, sur leurs documents publicitaires. D’après Joshua Karliner et Kenny Bruno (2000) qui travaillent pour le Transnational Ressource & Action Center, à lobbying Francisco: “Le Global Compact permet en fait à des sociétés connues pour leurs violations des droits humains et de l’environnement, de “bleuir” leur image, en se drapant dans la bannière des Nations Unies. C’est un “blue Wash” à peu de frais, car rien ne les empêchera de continuer à produire sans améliorer leur pratique, dans la mesure où il n’existe pas de système de contrôle. C’est pourquoi ces ONG estiment que soutenir ainsi certaines ETN, peut se révéler nuisible pour l’image, la crédibilité et même la légitimité de l’ONU. Les Nations Unies ont autorisé les ETN Nike et Shell notamment, à adhérer au Global Compact, alors qu’elles enfreignent régulièrement leurs propres codes de conduite et les normes sociales et environnementales.
 
Si le capitalisme économique et politique peut expliquer la situation mondiale actuelle d'inégalité extrême, le libéralisme (avec sa dérégulation) ne vient que le renforcer, en accentuant encore les tendances vers le non respect des règles de certains des élites (la corruption). Ainsi, si le  capitalisme libéral n'est pas la cause première des inégalités, il vient largement renforcer les faiblesses humaines (le besoin compulsif de pouvoir), le manque de démocratie et la tentation de la corruption et de l'illégalité à travers ses lobbies. Ces derniers agissant souvent de manière non démocratique et parfois même de manière illégale.
  
 

Notes

[1] Le « terme groupe d’intérêt » renvoie plus largement à une entité qui cherche à représenter et à promouvoir les intérêts d’un secteur spécifique de la société » (…) Un lobby est une groupe de pression, mais se différencie des autres, par le fait que généralement il réalise « deux activités complémentaires : le démarchage politique et la veille informationnelle »
 
[2] De manière générale un groupe de pression est défini comme une entité organisée qui cherche à influencer les pouvoirs publics et les processus politiques dans un sens favorable à ses intérêts, sans pour autant participer à la compétition électoral, ce qui le distingue d’un parti.
 
[3] GROSSMAN Emilio, novembre 2005, Lobbying et vie politique, Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, n°918.
 
[4] GREENWOOD, J. (2003), Interest representation in the European Union, Basingstoke, Palgrave, Macmillan.
 
[5] KALLAS Sim, (A6-0105/2008),  Résolution du Parlement européen du 8 mai 2008 sur le développement du cadre régissant les activités des représentants d'intérêts (lobbyistes) auprès des institutions de l'Union européenne.
 
[6]BASKIN Roberta, 27 janvier 2008, Colloque d’Alter EU Alliance pour la transparence du lobbying et l'éthique.
 
[7] M6, La vie de Waleed Bin Tatal, Zone Interdite, 4 septembre 2005.
 
[8] KROLL Luisa,  3/05/2008, The world's billonaires,  Forbes, USA.
 
[9] Wood Alan., 1998, « Les délocalisations et l’emploi », Alternatives économiques, Paris.
 
[10] GLASER Antoine, 28/08/2008,  France/Afrique la nouvelle "diplomatie business" !, La lettre du continent.
 
[11] LES ECHOS,  26/11/2007, Plus de 20 milliards d'euros de contrats entre la France et la Chine.
 
[12] SURVIE, 2005, Avril 2005 - Le choix volé des Togolais - Rapport sur un coup d'Etat électoral perpétré avec la complicité de la France et de la communauté internationale, L’harmattan, Paris, 110 p.
 
[13] LE FLOCH PRIGENT, Affaire Elf, Affaire d’Etat, Le cherche midi, 2001.
 
[14] VERSCHAVE François-Xavier, 2003,  Noir Chirac, Les arènes.
 
[15] CROZIER Michel, HUNTINGTON Samuel, WATANUKI M., The Crisis of Democratie, Report on the governability of Democracies to the Trilateral Commission, New York, University Press, 1975
 
[16] GILL Stephen, American Hegemony and the Trilateral Commission, Cambridge University, Press, 1990.
 
[17] ARMSTRONG Alan, MCCONNACHIE Alistair, “The 1998 Bilderberg Meeting”, The Social Creation, Official Journal of the Social Secretariat, juillet-août, 1998.
 
[18] JENNAR Marc Raoul, "Le gouvernement des lobbies: la gouvernance contre la démocratie", in BALANYA, 2005.
 
[19] HERMET Guy, "Un régime àa pluralisme limité? A propos de la gouvernance démocratique", Séminaire du 12/13 juin 2003 sur la Gouvernance organisé par l'UNESCO, le Colegio de Mexico et le CERI à Mexico
 
et http://www.ceri-sciences-po.org.
 
[20] SPENCER Herbert, (1889), 1907 (Trad.), Autobiographie. Naissance de l'évolutionisme libéral, Paris, PUF.
 
[21] Korten David, When Corporations Rule the World Kumarian Press, 1995.
 
[22] Pour une actualisation de le liste de membres consulter le site officiel de la trilatérale  www.trilateral.org/memb.htm
 
[23]CHEMIN Ariane, PERRIGNON Judith,  2007, La nuit du Fouq
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12 octobre 2014 7 12 /10 /octobre /2014 08:17

Le lien entre prospérité économique et niveau de santé d'une population paraît d'une évidence absolue. Mais la crise traversée par l'Europe et le régime d'austérité adopté par certains Pays de l'Union ont généré bien plus qu'une réaction de cause à effet : Le Sud de l'Europe compte ses victimes ...

 

 

 

Le nombre de suicides progresse sans cesse : en Italie, le rapport de l'institut Public de Recherches Economiques et Sociales indique que la mort par suicide des personnes au chômage a augmenté de 40% entre 2008 et 2010. Encore plus dur, le constat de l'étude (1) menée par Michael Marmot, professeur d'épidémiologie et santé publique à l'University College de Londres qui pointe une augmentation du taux de suicide de 56% par an, contre 10,2% en 2007.

 

Tous les Pays du Sud Europe sont touchés par le même phénomène : la dépression ouvre ses portes à la consommation d'alcool et des drogues (2). Et parallèlement, la réduction de fonds pour les programmes d'échange des seringues va de même avec l'augmentation d'infections HIV (3).

 
 En Grèce, les restrictions budgétaires coupent des mesures de prévention et contrôle des maladies. C'est le cas du paludisme, qui reprend sa propagation après avoir disparu, grâce à la prophylaxie, pendant 40 ans.

 

Encore plus frappantes, les données (4) sur la mortalité des nouveau-nés indiquées par le Hellenic Statistical Authority (ELSTAT) : après 42 ans de diminution constante de la mortalité néonatale (16.03/1000 en 1966 contre 3.31/1000 en 2008), les années 2009-2010 ont enregistré un pic de 4.36/1000, ce qui corresponde à une augmentation de 32% entre 2008 et 2010.

 

A ce sujet, une étude (5) récemment publiée sur le British Medical Journal tire la sonnette d'alarme: moins de détection précoce du retard de croissance, majeure mortalité néonatale. Et depuis la crise économique, souligne le Pr Nikolaos Vlachadis, le nombre de femmes enceintes sans couverture médicale (car sans emploi) n'arrête pas d'augmenter.

 

En Italie (6), comme partout ailleurs dans le Sud de l'Europe, environ 1 million 800 000 enfants et adolescents vivent dans des familles dont les revenus sont tombés en dessous du seuil de pauvreté et plus de 700 000 d'entre eux sont en conditions de pauvreté absolue .


Les enfants des ces familles ont un risque augmenté de développer des maladies aigues, de la même manière que le pronostic sera moins bon pour ceux d'entre eux qui sont atteints d'une maladie chronique .

 

"Aujourd'hui la pauvreté doit être considérée comme l'obstacle principale à la promotion de la santé de l'enfance" affirme le Pr Mario De Curtis de l'Université La Sapienza de Rome, "Chaque pays touché par la crise économique devrait mettre cette question au centre de son action politique" (7).

 

La réduction des budgets pour le système de santé est flagrante. Et ce cri n'arrive pas des militants anti-Européistes, mais de David Stuckler, diplômé de Yale en Santé Publique, PhD à Cambridge, chercheur senior à Oxford. Dans son livre The Body Economic (8), Stuckler affirme : "Actuellement, l'austérité imposée pour satisfaire les requêtes de la Troïka conduisent le système de santé vers le désastre. La Grèce a coupé le budget de la santé de plus de 40%. Comme il a été dit par le Ministre de la Santé : Il ne s'agit pas de coups de scalpel, mais de coups de couperet."

 
Et le pire est que ces coupures n'ont pas été décidées "par des médecins ou des professionnels de santé, mais par des économistes et des dirigeants de la finance. L'objectif était simple : réduire le budget de santé de l'Etat au 6% du PIB. D'où sort ce chiffre ? C'est moins qu'en Grand Bretagne, en Allemagne et aux Etats Unis."

Comment ne pas anticiper l'impact des mesures d'austérité sur les populations ? Les médicaments, notamment ceux qui font partie de la Liste des médicaments essentiels, deviennent de moins en moins disponibles. Plusieurs pays ont réduit les salaires des professionnels de santé... qui prennent désormais la route vers les pays du Nord : "La perte de compétences médicales fait partie des nombreux problèmes qui couteront à long terme bien plus que les économies qu'ils sont censés faire" (9).

 

Et pourtant, on constate que des pays comme l'Islande, la Finlande et l'Allemagne, qui n'ont pas touché à leur système de santé ni à leur sécurité sociale, ne rencontrent pas les mêmes conséquences. Même analyse pour les Etats Unis pendant la Grande Dépression des années trente.

 
La conclusion de Stuckler est claire, quelle que soit la crise économique, les impacts négatifs sur le système de santé ne sont pas inévitables. Tout dépend de la façon dont les communautés répondent aux défis du bouleversement économique.

 

Puisque l'austérité est mauvaise pour la santé, il sera nécessaire, pour le futur, d'anticiper la diffusion épidémique des crises financières. Mais surtout, il est nécessaire de reconnaitre le lien causal entre un bon niveau de santé publique et le système de protection sociale.

 

Dans l'ancienne Rome, le Quirinal (aujourd'hui siège de la Présidence de la République), accueillait le temple de Salus, déesse de la santé et de la prospérité, personnification du bien vivre sous le profil individuel et collectif.

 

Pour que le sens de cette terrible crise économique puisse se transformer en levier d'évolution, il est nécessaire de reprendre cette logique et d'entamer une nouvelle réflexion sur la place de la santé publique comme pivot de nos sociétés.

 

Mettre la santé au centre des réflexions communes, repenser les politiques publiques en fonction de la salus des citoyens sont des obligations majeures pour nos Etats.

Seul cela nous permettra de sortir du déclin et de léguer à la postérité une société basée sur le bien commun, la protection des personnes en fragilité et l'accès de tous à la santé et à la prospérité: "salus populi suprema lex esto" (10)

 

Notes:

 
- Lire également l'article complet du journal diplomatique, ocotobre 2014 : "Quand l'austérité tue !"

 

1. De Vogli R, Marmot M, Stuckler D. Excess suicides and attempted suicides in Italy attributable to the great recession. J Epidemiol Community Health2013 doi:10.1136/jech-2012-201607
2. lien
3. ECDC 2012. Risk assessment on HIV in Greece. Technical report. Stockholm: European Centre for Disease Prevention and Control.
4. BONOVAS S & NIKOLOPOULOS G (2012). High-burden epidemics in Greece in the era of economic crisis. Early signsof a public health tragedy. J Prev Med Hyg, 53, 169-71
5. Vlachadis N ,Kornarou E. Increase in stillbirths in Greece is linked to the economic crisis BMJ 2013;346:f1061
6. lien
7. Reading R. Poverty and the health of children and adolescents. Arch Dis Child 1997; 76 (5): 463-7
8. lien

9. Helmut Brand, président du Forum Européen de Santé de Gastein
10. Cicéron "De legibus"

 

Source: http://www.huffingtonpost.fr/

 
Article de Giovanna Marsico, avocate italienne, qui vit actuellement à Paris où elle met en œuvre son engagement dans les questions de parité, d'égalité et d'accès aux droits des sujets fragilisés. Elle est responsable de www.cancercontribution.fr, plateforme collaborative dédiée au cancer et à ses impacts sur les citoyens. 

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30 août 2014 6 30 /08 /août /2014 08:07

Comment les chaussures mènent-elles les femmes par le bout du pied ? De Paris à New York, une enquête pétillante et pertinente sur une relation passionnelle avec un outil de séduction... Une investigation soignée, accompagnée par des témoignages de femmes "shoes-addicts" et d'avis pertinents de psychanalystes.

 

 

Il y a celles qui leur donnent des sobriquets, celles qui courent en acheter à la moindre contrariété ou encore celles qui suivent des cours pour apprendre à marcher haut perché. Aux États-Unis, qui occupent le premier rang mondial, les femmes achètent en moyenne sept à huit paires par an, suivies de près par les Françaises. Comment expliquer ce désir irrépressible ?

 

 

De Dita von Teese à Kelly Rowland (ex-Destiny’s Child), de la danseuse étoile Marie-Agnès Gillot à la joueuse de poker Beth Shak, Julie Benasra est allée à la rencontre de fanatiques des chaussures pour tenter de comprendre les raisons de cette idylle. Pour Fergie, la chanteuse des Black Eyed Peas, "vos chaussures parlent de vous et disent qui vous êtes." Plus qu’un simple accessoire, les souliers de ces dames reflèteraient leur état d’esprit et leur permettraient de se distinguer, d’affirmer leur pouvoir et leur sensualité. Les grands créateurs du moment (Christian Louboutin, Manolo Blahnik, Pierre Hardy…), qui s’amusent à défier les lois de la gravité, mais aussi des historiennes, des rédactrices de mode, des psychanalystes, des sexologues et des fétichistes apportent également leur éclairage sur ce phénomène en expansion.

 

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18 juillet 2014 5 18 /07 /juillet /2014 11:21

Brillante intervention de Bernard Stiegler au festival d'Avignon 2014... autour du devenir noétique "de l'art" et du "temps de l'existence", face à une logique grandissante d'automatisation et de rentabilisation des êtres vivants.

 

 

-Intervention de Bernard Stiegler à la 23ème minute -

 

La crise des intermittents ne doit pas nous cacher une crise généralisée de l’emploi, qui est amené à disparaître avec le développement universel de l’automation. Mais travail n’est pas emploi : et si le modèle de l’intermittence était appelé à devenir le régime de tous ?

 

 

Bernard Stiegler : « Dans 20 ans l’emploi aura disparu, tout le monde sera intermittent »

 

 

À l’époque de l’automatisation généralisée...

 

Le siècle dernier était celui du consumer capitalism, produit dérivé du taylorisme : produire à la chaîne et consommer comme le marketing le dicte. On a parlé du keynésianisme et du welfare state de Roosevelt. Mais aujourd’hui, ce modèle semble s’écrouler sous la pression de ses propres contradictions, cependant que se planétarisait la mise en réseau numérique. Celle-ci va provoquer dans les années qui viennent un processus d’automatisation généralisée où l’emploi salarié deviendra exceptionnel : les robots se substitueront massivement aux employés humains.

 
Cette nouvelle époque industrielle ne sera viable que si elle consiste en une renaissance du travail dans une société de contribution où les gains de temps issus de l’automatisation seront massivement réinvestis dans la capacitation et la déprolétarisation du travail : les robots sont des machines qui n’ont pas besoin des esclaves humains pour fonctionner.

 

 

Source texte: rue89.nouvelobs.com

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