9 septembre 2013 1 09 /09 /septembre /2013 09:51

Après la Seconde Guerre mondiale, Jimmy Picard, un vétéran amérindien de la tribu des Pieds-Noirs est admis au Winter Veteran Hospital de Topeka au Kansas. Souffrant de maux de tête et d'absences dont aucun médecin ne réussit à diagnostiquer la cause, il est pris en charge par Georges Devereux, un ethnologue spécialiste des cultures amérindiennes et psychanalyste français d'origine hongroise.

 

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Georges Devereux vers 1932

 

Arnaud Desplechin explique « être devenu fou » du livre Psychothérapie d'un indien des plaines de l'ethnologue et psychanalyste français Georges Devereux (1908-1985) qui l'accompagne depuis les années 1990 et dont il imagina longtemps faire une adaptation cinématographique. Pour réaliser la phase d'écriture qu'il mène principalement dans son studio de travail du quartier du Panthéon à Paris, Arnaud Desplechin discute certains points du livre et de la psychanalyse de Jimmy Picard avec l'historienne Élisabeth Roudinesco, qui avait préfacé une réédition de l'ouvrage en 1998. Il est également aidé de Julie Peyr et Kent Jones dans l'adaptation du scénario et des dialogues en anglais.

  

 

 

Le titre de travail du film porta initialement celui du livre puis a beaucoup varié au cours des différentes phases de sa réalisation, avant d'être finalement annoncé sous le titre actuel. Le film met en scène l'histoire réelle de Jimmy Picard, un amérindien de la tribu des Pieds-Noirs, vétéran de la Seconde Guerre mondiale, devenu alcoolique, et en perte de repères ethno-sociaux, qui fut un cas d'étude Georges Devereux lors de leur rencontre au Winter Veteran Hospital de Topeka au Kansas. À la suite d'une psychothérapie de 80 séances intégralement et minutieusement retranscrites, Georges Devereux, qui travaille alors dans la clinique fondée par Karl Menninger, publie en 1951 à New York (édition revue et corrigée en 1982 et en 1998) un livre d'ethnopsychanalyse de 600 pages intitulé Psychothérapie d’un Indien des plaines : réalités et rêve dans lequel il analyse grâce au cas de Picard « l’existence d’une personnalité ethnique liée à une aire culturelle d’une part et l’existence de troubles psychiques commune à tout humain d’autre part ».

 

http://fr.wikipedia.org/

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23 juin 2013 7 23 /06 /juin /2013 09:55

Sans le système actuel de subventions , la très riche culture française disparaîtrait. Ce qui serait une lourde perte pour le monde entier, explique un chroniqueur du Financial Times. Chaque français doit la défendre avec ferveur.

 

-The Artist, qui a remporté cinq Oscars à Hollywood, est le produit du système de soutien au cinéma français-


Revoilà la polémique autour de la fameuse exception culturelle française, dispositif combinant subventions, quotas et allégements fiscaux pour soutenir le cinéma, la télévision et la musique.

Paris menace de faire avorter le projet d’accord commercial entre les Etats-Unis et l’Union européenne si celui-ci ne lui permet pas de maintenir cette exception. Comme toujours, ses détracteurs raillent la France, sa haine de la culture anglo-saxonne et ses illusions de grandeur. Ils se trompent : la France accueille à bras ouverts les produits culturels étrangers, et les arguments en faveur de cette exception culturelle sont mesurés et raisonnables. Puisque la barrière de la langue semble empêcher les Français de plaider eux-mêmes leur cause en anglais, je me sens l’obligation, moi qui suis Parisien depuis 2002, de le faire pour eux.

Il y a cinquante ans, quand les Français ont commencé à protéger leurs produits culturels, l’esprit anti-anglo-saxon a joué un rôle. Mais cette hostilité a disparu. A partir des années 1990, quand Internet a chassé son précurseur français, le Minitel, les Français ont commencé à admettre qu’ils vivaient dans un monde anglophone – et la transition est en cours, souvent avec bonheur. Aujour­d’hui, à Paris, la culture américaine est omniprésente.

La récente exposition des peintures d’Edward Hopper a été un triomphe. J’ai vu des foules parisiennes en délire accueillir Andre Agassi à Roland-Garros. J’ai vu aussi des intellectuels français assister à un cours de Bruce Ackerman, professeur de droit à Yale, s’imprégnant de sa sagesse en anglais. Le mois dernier, l’Assemblée nationale a voté une loi visant à promouvoir l’usage de l’anglais dans les universités françaises. Les quatre films ayant le plus rapporté ces derniers temps en France ont été produits à Hollywood, et ce malgré la taxe de soutien au cinéma français prélevée sur tous les billets. L’exception culturelle n’est en rien un blocus des produits culturels américains ; ce n’est d’ailleurs pas son objectif. Un rapport officiel des autorités françaises [le rapport Lescure] rappelait récemment que cette politique n’est pas “l’expression d’une conception défensive de la culture”.

Il faut en effet voir dans l’exception française un outil positif, pensé pour préserver une niche qui puisse accueillir certains produits culturels français. La France accepte parfaitement que l’essentiel du marché mondial du cinéma et de la télévision soit en anglais. L’exception culturelle entend simplement faire en sorte que la culture française obtienne elle aussi des financements. Car ce n’est pas la main invisible du marché qui s’en chargera. Etant donné la mort du français comme grande langue mondiale et le désintérêt des étrangers pour une France qui soit autre chose qu’une destination touristique et gastronomique, les cinéphiles étrangers sont de plus en plus rares à suivre le septième art hexagonal. Le dernier grand succès français au cinéma, The Artist, récompensé en 2012 par cinq oscars, était un film muet, délesté donc du handicap linguistique.

A cela s’ajoute la surproduction cinématographique mondiale. Il y a cinquante ans, très peu de pays avaient produit ne serait-ce qu’un seul film ; aujourd’hui, tous les gamins qui ont un iPhone en sont capables. D’où une concurrence d’une ampleur inédite. Si Jean Renoir avait réalisé sa Grande Illusion aujourd’hui, et non en 1937, son public à l’étranger se serait résumé aux dix-sept cinéphiles d’une salle d’art et d’essai de Greenwich Village.

C’est pourquoi l’Etat français donne un coup de pouce à ses artistes. Les taxes imposées aux chaînes de télévision, aux films et aux fournisseurs d’accès Internet font beaucoup ricaner à l’étranger. Pourtant, de très nombreux autres pays subventionnent leurs arts. Les exemptions fiscales accordées par les Etats-Unis aux mécènes ne sont pas autre chose. En avril, Leonard Lauder, héritier de l’empire cosmétique Estée Lauder, a fait don au Metropolitan Museum de New York de tableaux cubistes d’une valeur dépassant le milliard de dollars. A elle seule, cette somme est pratiquement équivalente au milliard d’euros de subventions que la France accorde chaque année à son cinéma.

Caricatures: Certains des films français subventionnés sont des navets, certes ; mais d’autres sont de petits bijoux. Ils viennent enrichir non seulement la culture française, mais aussi la culture mondiale. Il est de charmants petits films français des années 1990, comme Le bonheur est dans le pré ou Western, qui continuent de me trotter dans la tête. Ces productions ne pouvaient espérer se lancer à l’international et décrocher le jackpot, contrairement à leurs équivalents britanniques, comme ce fut le cas de Quatre mariages et un enterrement. Il n’en reste pas moins que la disparition de la culture française serait une perte pour le monde entier.

Aujourd’hui, alors que les produits culturels ont colonisé Internet, la France planche sur les moyens de taxer aussi ce mode de diffusion. Le gouvernement envisage ainsi une taxe de 1 % sur les smartphones et les tablettes connectées, ce que l’on interprète inévitablement à l’étranger comme un refus de la France de vivre au XXIe siècle. Mais il faut plutôt y voir le prolongement logique de l’exception culturelle, politique mesurée qui a fait ses preuves. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que treize autres pays de l’UE aient apporté leur soutien à la position française en matière de culture dans une lettre à la Commission.

La querelle illustre en fait un problème plus vaste : quel que soit le sujet, les arguments de la France sont systématiquement caricaturés. Le monde ne parlant pas le français, il entend rarement ce que disent les Français. De ce fait, c’est le discours anglo-saxon qui prévaut, selon lequel la France est toujours l’adversaire irrationnel du progrès. Nous l’avons vu durant l’escalade qui a conduit à la guerre en Irak – et rebelote aujourd’hui dans les négociations commerciales transatlantiques. Les Français doivent apprendre à mieux plaider leur cause dans la langue de Shakespeare. Car, pour peu que l’on entende correctement leurs arguments à l’étranger, tout le monde se dira qu’après tout ils ne sont peut-être pas si arriérés.

de Simon Kuper

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15 avril 2013 1 15 /04 /avril /2013 12:43

" La France ne se sent pas bien. Pour comprendre son mal, nous l’avons passée au scanner de la cartographie la plus moderne. Cent vingt cartes permettent d’observer, renaissant sans cesse, la diversité des mœurs françaises."

 

Article suivi du synopsis de l'ouvrage et d'un extrait du livre en PDF:

 

todd

-Excellent ouvrage cartographié et très détaillé, rédigé par Emmanuel Todd et Hervé le Bras-

  

"On connait les travaux d’Emmanuel Todd, qui aime à interpréter les grands mouvements de l’histoire à l’aune de phénomènes anthropologiques tels que les progrès de l’alphabétisation ou la baisse du taux de fécondité des femmes."

 
On se souvient également de L’invention de la France, co-écrit avec Hervé Le Bras. Les deux chercheurs y scannaient le territoire français pour mettre en lumière nombre de discontinuités, notamment quant aux structures familiales. Une France très diverse se dessinait alors, avec, schématiquement, deux grands ensembles : l’un caractérisée par la famille nucléaire et égalitaire, qui fut la France révolutionnaire L’autre (l’Ouest et une partie du Sud) historiquement catholique et conservatrice, terre d’élection de la famille-souche. Ainsi, Le Bras et Todd reprenaient à leur compte, pour l’appliquer à la France, la distinction établie par l’anthropologue Louis Dumont, entre les sociétés de type individualiste et égalitaire, et les sociétés de type holiste et hiérarchique.
  
C’est dans cette même optique que Todd et Le Bras publient Le mystère français (Seuil, mars 2013). En complément de la démarche, par exemple, d’un Laurent Davezies, les deux auteurs entendent faire parler le territoire. Partant de l’hypothèse qu’il existe une « mémoire des lieux », ils proposent une vision alternative à celles de la sociologie ou de l’histoire, qui, parfois prisonnières de la mythologie du « roman national  », tendent à gommer l’hétérogénéité. Un type d’approche matérialiste, en somme, si l’on accepte de définir le matérialisme autrement que comme un économisme réducteur. Car si les démographes entendent révéler « le primat des mentalités », c’est bien l’importance d’une infrastructure anthropologique, allant des traditions familiales et religieuses à la configuration de l’habitat, qu’ils mettent en lumière.

L’une de forces de cet ouvrage réside dans la présence de nombreuses cartes : plus d’une centaine. De sorte que le réel saute aux yeux. Un réel qui va à l’encontre de bien des idées reçues, conduisant les auteurs à un optimisme auquel on n’est guère habitué. De fait, ils décrivent une France différente du pays désenchanté que montrent parfois les sondages. Et, comme s’ils voulaient confirmer l’analyse faite ici par Guénaëlle Gault et Philippe Moreau-Chevrolet, ils tâchent de révéler un « optimisme inconscient de la société ».

  

  

Synopsis:

  

Entre 1980 et 2010, une mémoire des lieux a bizarrement guidé, dans l’Hexagone, une transformation sociale accélérée. Ascension éducative, émancipation des femmes, bouleversement du mariage, fécondité, crise industrielle, immigration, mutation des classes sociales, inégalités, chômage, problèmes scolaires, métamorphose politique : tous les changements respectent, retrouvent ou revivifient des espaces anthropologiques et religieux anciens. Leur examen permet un diagnostic : notre pays souffre d’un déséquilibre nouveau entre les espaces anthropologiques et religieux qui le constituent. Son cœur libéral et égalitaire, qui fit la Révolution française, est affaibli. Sa périphérie, autrefois fidèle à l’idéal de hiérarchie, et souvent de tradition catholique, est désormais dominante. Nos dirigeants, parce qu’ils ignorent tout du mode de fonctionnement profond de leur propre pays, aggravent sa condition par des politiques inadaptées.

 

 Hervé Le Bras est démographe et historien. Parmi ses ouvrages : The Nature of Demography (Princeton University Press, 2008), Naissance de la mortalité (Gallimard-Le Seuil, 2000), Le Sol et le Sang (L'Aube, 2006).

 

Emmanuel Todd est historien et anthropologue. Il a notamment publié L'Illusion économique (Gallimard, 1998), Après la démocratie (Gallimard, 2008) et L’Origine des systèmes familiaux (Gallimard, 2011).

 

  Extrait du livre en PDF [page 10 à 29]: Cliquez ici.

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4 avril 2013 4 04 /04 /avril /2013 09:53

Dès 2002, Google entreprend de scanner tous les ouvrages de la littérature mondiale. L'entreprise californienne signe des contrats avec de grandes bibliothèques universitaires. Dix millions de volumes sont numérisés dans la gigantesque mémoire de Google. Sauf qu'environ six millions de ces livres sont protégés par le droit d'auteur... Récit d'une bataille juridique !

 

 

Dès 2002, Google entreprend de scanner tous les ouvrages de la littérature mondiale. L'entreprise californienne signe des contrats avec, notamment, les bibliothèques universitaires de Harvard, de Stanford et du Michigan, la Bodleian Library d'Oxford et la bibliothèque de Catalogne. Plus de dix millions de volumes finissent ainsi sous forme de fichiers numérisés dans la gigantesque mémoire de Google. Sauf qu'environ six millions de ces livres sont encore protégés par le droit d'auteur... En 2005, une société d'auteurs (l'Authors Guild of America) et un groupement d'éditeurs (l'Association of American Publishers) assignent Google devant les tribunaux. En 2008, la justice tranche en faveur de Google et de son projet de bibliothèque numérique, en lui accordant un quasi-monopole avec le Google Book Settlement. Mais des acteurs du monde du livre et des instances politiques se mobilisent en dehors des États-Unis. Ainsi en France avec Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la BNF, qui lance le projet d'Europeana, la bibliothèque numérique européenne. Après une longue bataille juridique, la justice américaine déclare en 2011 nulle et non avenue la réglementation de 2008...

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10 mars 2013 7 10 /03 /mars /2013 10:21

Le texte fut publié par partie. Il n'eut aucun succès, et Nietzsche dut publier la dernière partie à compte d'auteur (1885). Les quatre parties furent publiées ensemble pour la première fois en 1892.

 

Le nom Zarathoustra signifie « celui qui a de vieux chameaux » et non comme on l'a cru jusqu'à il y a une trentaine d'année « celui à la lumière brillante » ; c'est le nom avestique de Zoroastre, prophète et fondateur du zoroastrisme, l'ancienne religion iranienne. En allemand, il garde cette forme ancienne. Nietzsche l'a choisi car il fut le premier à enseigner la doctrine morale des deux principes du bien et du mal.

 

 

 

Nietzsche s'est fait une haute idée de son livre, et il ne pensait pas que l'on puisse le comprendre avant longtemps. Aussi, face à cette situation et à cette réception inattendue par des personnes qu'il méprisait, il écrivit plus tard, dans Ecce homo (1888) :

« — Hélas ! mon Zarathoustra cherche encore cet auditoire [capable de le comprendre], il le cherchera longtemps ! »

La qualité poétique du livre a été diversement appréciée. Heidegger par exemple y trouve des passages saisissants par leur beauté, mais estime que bien d'autres passages sont plats ou insipides.


Composition de l'œuvre


Ainsi parlait Zarathoustra se compose de discours, de paraboles, de poésies et de chants répartis en quatre livres. Bien que l'ensemble puisse au premier abord présenter une apparence disparate, Eugen Fink a souligné la forte unité de ce poème. En effet, Zarathoustra commence par annoncer la mort de Dieu, condition préalable à l'enseignement du Surhomme, abordé dans le prologue et dans le premier livre, où la parabole du chameau constitue une annonce de son destin.

 

 

Le deuxième livre expose la pensée de la Volonté de puissance, qui est la pensée du dépassement de soi conduisant au Surhomme. Puis le troisième livre tourne autour de l'Éternel Retour, affirmation la plus haute de la Volonté de puissance et idée sélectrice destinée à poser les conditions qui dans l'avenir permettront l'avènement du Surhomme. La dernière partie tourne autour des hommes supérieurs et de la tentation de la pitié qui est pour Nietzsche la tentation nihiliste par excellence. C'est pour Zarathoustra le dernier obstacle à l'affirmation de la vie et le début d'une nouvelle transfiguration, avec laquelle l'œuvre se termine, transfiguration vers l'amour et la joie symbolisés par le lion devenu docile et rieur et entouré d'une nuée de colombes.


Le prologue


Le prologue constitue l'ouverture du premier livre. Dans ce prologue Zarathoustra, qui s'était retiré dans la montagne pendant dix ans, revient parmi les hommes pour leur faire partager sa pensée (§ 1). Une première version du premier paragraphe du prologue se trouve dans Le Gai Savoir, § 342. L'aphorisme est intitulé Incipit tragœdia et s'achève par les mêmes mots : « — Ainsi commença le déclin de Zarathoustra. »

 

Alors qu'il traverse la forêt, Zarathoustra rencontre un vieil ermite avec qui il discute. Mais lorsqu'il se rend compte que le vieillard a consacré sa vie à Dieu, Zarathoustra préfère s'en aller de crainte de le priver du sens de son existence en lui révélant que Dieu est mort (§ 2). Ce thème ouvre ainsi le voyage de Zarathoustra parmi les hommes, et marque le point de départ de la pensée du Surhomme que Zarathoustra va leur divulguer : Dieu n'étant plus la finalité de la volonté humaine, il faut que l'homme se fixe un but immanent qui passe par son propre dépassement.

 

  

 

    Zarathoustra parvient ensuite à une ville, et commence à s'adresser à la foule rassemblée devant le spectacle d'un funambule. Il parle d'abord du Surhomme (§ 3 et 4), puis du dernier homme (§ 5), mais constate son échec dans les deux cas puisque dans le premier la foule se moque de lui et que dans le second elle l'acclame sans comprendre le sens profond de son message. Dès lors, il décide de s'adresser à un public choisi, qu'il conçoit, en opposition avec la figure du Christ, non comme des disciples, mais comme des compagnons :

« Des compagnons, voilà ce que cherche le créateur et non des cadavres, des troupeaux ou des croyants. Des créateurs comme lui, voilà ce que cherche le créateur, de ceux qui inscrivent des valeurs nouvelles sur des tables nouvelles. » (§ 9)

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25 février 2013 1 25 /02 /février /2013 14:32
 

Dans son livre "Thinking, Fast and Slow" publié en 2011, le psychologue Daniel Kahneman (lauréat du prix Nobel en économie en 2002), décrit l'état des connaissances dans un courant de recherche qui définit deux modes de pensée intervenant dans le jugement et la prise de décision: la pensée intuitive (qu'il appelle "système 1") et la pensée rationnelle (système 2).

  

"Conférence du psychologue Daniel Kahneman  - Pensez à activer la traduction des sous-titres".

 

Le système 1 est constitué de réactions intuitives, automatiques (peu conscientes ou délibérées) et rapides sur lesquelles reposerait la plus grande partie de nos décisions. L'intuition présente l'avantage de la rapidité et de l'efficacité dans plusieurs contextes. Elle se développe avec l'expérience. Les experts d'un domaine peuvent souvent porter un jugement intuitif, rapide et exact sur diverses situations. Mais ce mode de pensée est le plus susceptible d'introduire des erreurs ou des biais dans le jugement. Le degré d'exactitude de la pensée intuitive est affecté par plusieurs facteurs. Savoir reconnaître la limite et le risque de biais de l'intuition dans différentes circonstances fait partie de la compétence. Une trop grande confiance dans la validité de ses intuitions est une erreur fréquente.

 

Le système 2 correspond à une pensée plus délibérée (dirigée consciemment), analytique et logique. Elle intervient lorsqu'un jugement intuitif est insuffisant et permet de réduire les effets négatifs de ce dernier. Cette pensée est plus lente et requiert plus d'effort. Elle n'est pas mise en opération pour toutes les décisions et jugements de la vie quotidienne.

 

Une expertise intuitive se développe à partir d'une expérience prolongée dans laquelle un feedback de qualité est fourni. Les domaines dans lesquels les feedback sont de mauvaise qualité ou retardés favorisent peu le développement d'une connaissance intuitive (par ex. les anesthésistes peuvent plus facilement développer leurs intuitions que les radiologues).

 

Pour juger si un jugement intuitif particulier est digne de confiance, il importe de se demander si l'environnement dans lequel il est porté est suffisamment régulier pour permettre des prédictions à partir des éléments disponibles (les travaux de l'auteur indiquent que les spécialistes de placements boursiers œuvrent dans un domaine peu propice au développement des intuitions).

 

De façon générale, le système 1 utiliserait les associations entre des situations semblables et des métaphores pour une compréhension rapide de la réalité qui constituerait un point de départ pour le système 2 afin d'arriver à des croyances explicites et des choix raisonnés. Mais le système 2, en plus d'être délibéré, est aussi paresseux.

 

"Certaines personnes qui sont intellectuellement en mesure ne se donnent pas tellement la peine de s'engager dans une pensée analytique et sont portées à se fier à leurs intuitions", exposait un article du New Scientist (2009). "D'autres ont davantage tendance à vérifier leurs intuitions et raisonner pour s'assurer que ce qu'elles font est justifié".

 

www.psychomedia.qc.ca/

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4 janvier 2013 5 04 /01 /janvier /2013 17:29

Françoise Bonardel, Philosophe, écrivain, Professeur à l'université de la Sorbonne, elle a écrit de nombreux ouvrages et articles sur les "orients" de la philosophie que sont gnose, mystique, poésie et surtout alchimie à laquelle elle consacre plusieurs études : "Philosophie de l'alchimie" ( PUF,1993), "Philosopher par le Feu" (réédition Almora, 2008) et "La Voie hermétique" ( Dervy, réédition 2011).

 

Athanor

 

Qu'est-ce que l'alchimie, objet de bien des spéculations et rêveries ? Un art du Feu qui, mariant ciel et terre, corps et esprit par une succession de dissolutions et de coagulations (solve et coagula), accomplit le dessein secret de la Nature, guide infaillible sur la voie conduisant à la réalisation du Grand Œuvre, à la réalisation de soi à travers l'alliance des forces opposées (de la matière et de l'esprit noétique). Cheminant durant des siècles à côté du christianisme dont il a souvent intégré les symboles à sa propre imagerie, l'Art d'Hermès s'est singularisé par l'attention portée au mystère de la Vie et par sa volonté de tracer une voie " moyenne " entre raison, croyance et philosophie.

 

 

Rien ne saurait donc remplacer une confrontation directe aux textes, déjà traduits ou encore inédits, pour faire sortir de l'ombre où l'a reléguée la science moderne une tradition vieille de deux millénaires et qui mérite d'être redécouverte, tant en raison de l'importance de son corpus que de sa richesse symbolique et spirituelle. Des alchimistes grecs aux peintres et poètes surréalistes, l'intérêt persistant porté à l'alchimie traditionnelle plaide en faveur de cette quête d'immortalité inscrite au plus profond du cœur et de l'esprit humains.

 

Le propre d'une tradition étant de fidèlement transmettre tant le contenu que l'esprit d'un savoir ancestral, cette anthologie rassemble l'essentiel des textes canoniques présentés dans un ordre chronologique - quelques dizaines de traités selon Eugène Canseliet - assortis d'une iconographie où se mêlent images traditionnelles et créations, modernes ou contemporaines, librement inspirées par l'alchimie.

 

L'alchimie avec Françoise Bornardel

 

 

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26 décembre 2012 3 26 /12 /décembre /2012 14:38

imposteurs.gif

 

<< L’imposture a toujours existé mais certaines sociétés la favorisent plus que d’autres. L’imposteur est aujourd’hui dans nos dispositifs d’évaluation et de normalisation comme "un poisson dans l’eau" : faire prévaloir la forme sur le fond, valoriser les moyens plutôt que les fins, se fier à l’apparence et à la réputation plutôt qu’au travail et au courage, préférer la popularité au mérite, opter pour le pragmatisme avantageux plutôt que le courage de l’idéal, choisir l’opportunisme de l’opinion plutôt que tenir bon sur les vertus, chérir le semblant et ses volutes plutôt que la pensée critique, les "mouvements de manche" plutôt que la force de l’oeuvre, voilà le "milieu" idéal pour que prospère l’imposture ! Notre société du conformisme et de la norme, même travestie sous un hédonisme de masse et grimée de publicité tapageuse, d’éloges factices du vrai, de reproduction en masse de l’unique, fabrique de l’imposteur. >>

 

Extrait officiel disponible en PDF: Cliquez ici.

   

 

L’imposteur est un authentique martyr du lien social, virtuose de l’apparence, "maître" de l’opinion, "éponge vivante" des valeurs de son temps, "cannibale" des modes et des formes dont il s’affuble comme des "fétiches" pour parer à l’inconsistance de son existence, pour vivre à crédit, au crédit de l’Autre. L’imposture est parmi nous, elle est la soeur siamoise du conformisme galopant, de l’homogénéisation croissante des cultures et des styles.


Ce conformisme a un prix, lourd, très lourd : la stérilité des reproductions contrôlées, la violence symbolique des automatismes sociaux, la prolétarisation généralisée de l’existence. Au nom des normes les pouvoirs "sécuritaires" inhibent les sujets comme les peuples, les empêchent de créer et de s’émanciper en confisquant le débat démocratique, en discréditant l’art de transmettre l’expérience.


Au risque de fabriquer demain une société de "termites" ou de robots parfaitement adaptés aux exigences de compétitivité et de précision de la nouvelle économie "globalisée". Par une intimidation sociale très précoce et insidieuse, contraignante mais compassionnelle, cette civilisation des mœurs emmène vers une soumission forcée aux normes, fabrique parfois ses propres risques qu’elle feint ensuite d’éradiquer.


La clinique psychopathologique montre que ce type d’adaptation factice et superficielle procède par un empiétement des normes sur le vivant, finit par générer de l’apathie, de la dépression ou du cynisme. Un tel état psychique et social prédispose les sujets comme les foules à se laisser gouverner par une société totalitaire et à abandonner l’idéal de la démocratie. Sans confusion de genres et avec toutes les précautions qu’implique ce type de rapprochement, entre la clinique psychopathologique individuelle et l’analyse sociale des moeurs, Roland Gori choisit un éclairage croisé de la psychanalyse et de la politique pour montrer que les civilisations comme les hommes peuvent souffrir de traumatismes.


La sidération que de tels traumatismes produisent conduit bien souvent à la "solution" de l’imposture et aux faux-semblants de l’adaptation "caméléon". A moins que la culture et le rêve ne s’en mêlent, bougeant les lignes et les frontières, les fonctions définies et les règles établies, ils rendent possibles l’expérience et sa transmission, et restituent aux humains le "pluriel singulier" d’un monde commun.


C’est le pari de la démocratie et l’audace de la liberté partagée. C’est le pari aussi sur lequel se fonde une culture qui prend soin de l’humanité dans l’homme. Le politique et le psychanalyste sont engagés dans des "métiers impossibles" qui ne se soutiennent que du désir de liberté qui les porte au-delà des limites des "normes", normes qu’ils rencontrent nécessairement sur le chemin de l’émancipation.


"C’est ce défi que nos démocraties et les humains qui les composent, se doivent de relever aujourd’hui pour quitter le vieux monde et accoucher du nouveau - R.Gori."

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23 décembre 2012 7 23 /12 /décembre /2012 09:30

« L'homme est-il seulement un homo economicus ? Notre monde est malade, mais la crise économique actuelle, qui polarise toutes les attentions, n'est qu'un symptôme de déséquilibres beaucoup plus profonds. La crise que nous traversons est systémique : elle touche tous les secteurs de la vie humaine. Elle est liée à des bouleversements de nos modes de vie sans doute aussi importants que le tournant du néolithique, lorsque l'être humain a cessé d'être nomade pour devenir sédentaire.

   

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Il existe pourtant des voies de guérison. En m'appuyant sur des expériences concrètes, je montre l'existence d'une autre logique que celle, quantitative et mercantile, qui conduit notre monde à la catastrophe : une logique qualitative qui privilégie le respect de la Terre et des personnes au rendement ; la qualité d'être au « toujours plus ». Je plaide aussi pour une redécouverte éclairée des grandes valeurs universelles - la vérité, la justice, le respect, la liberté, l'amour, la beauté - afin d'éviter que l'homme moderne mû par l'ivresse de la démesure, mais aussi par la peur et la convoitise, ne signe sa propre fin ».

 

Après avoir parlé de la sagesse personnelle dans ses précédents ouvrages - Socrate, Jésus, Bouddha (Fayard), Petit traité de vie intérieure (Plon), L'Ame du monde (NiL) - Frédéric Lenoir pose ici les fondements philosophiques d'une sagesse pour notre temps ; une éthique de liberté et de responsabilité qui passe par la conversion de chacun d'entre nous, selon l'expression de Gandhi : Soyez le changement que vous voulez dans le monde !

 

Ecouter les propos pertinents de Frédéric Lenoir :

france interCliquez sur le logo France Inter - Début à la dixième minute.

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15 septembre 2012 6 15 /09 /septembre /2012 12:01

L’un des derniers livres publiés par Bernard Stiegler, et qui s’intitule Prendre soin, de la jeunesse et des générations, a pour thème central la question de l’éducation et plus particulièrement l’école. Je voudrais tenter d’en présenter ici quelques idées directrices, car il me semble qu’il y a là de quoi mieux comprendre ce que l’on pourrait appeler le « malaise » voire la « dépression » scolaire.

  

Depuis déjà plusieurs années et parutions, ainsi qu’à travers l’Association Ars Industrialis , Bernard Stiegler théorise, œuvre et plaide en faveur de ce qu’il appelle lui-même une « écologie de l’esprit » : de même qu’il faut se soucier de la qualité des milieux naturels, afin d’assurer leur fécondité future, de même il faut se soucier de la nature des milieux « psychiques » dans lesquels naissent et se développent de futurs « esprits » .

  

Or la thèse majeure de Stiegler est que l’époque actuelle se caractérise par une tendance à la destruction des milieux propices au développement de « l’esprit » et du « désir » - ou si l’on veut de « l’intelligence », c’est à dire aussi d’individus humains « majeurs », autonomes et singuliers : contre cette tendance à la « bêtise », au « degré zéro de la pensée », qui génère aussi pour Stiegler une « dépression » et pour finir l’incivilité et l’irresponsabilité, il faut « trouver de nouvelles armes » et livrer une « bataille de l’intelligence ».

  

Mais ce qui fait la singularité de l’époque actuelle, c’est surtout un certain stade inédit du capitalisme, que Bernard Stiegler nomme parfois « capitalisme pulsionnel », parfois « populisme industriel », et qu’il définit, pour l’essentiel, ainsi : une économie de consommation, et non plus de production, à visée « comportementaliste », et dont le moteur se trouve dans la conjonction entre la « science » du marketing , le développement de la « société de services », et l’utilisation massive des medias analogiques puis numériques, que Stiegler appelle des « psychotechnologies ». Parce que l’enjeu, depuis les années 50-60, n’est plus tellement d’assurer la production mais plutôt la vente et la consommation des biens produits par un appareil structurellement en surproduction, les groupes industriels, devenus mondiaux, visent explicitement à s’assurer le contrôle comportemental des individus, c’est à dire leur « esprit », leur « désir », leur « identité » : or, pour Stiegler, les acteurs et les instruments essentiels de ce contrôle sont aujourd’hui les « industries de services » - qui produisent et vendent des « savoir-vivre » - et singulièrement les « industries de programmes » (télévision, cinéma, Internet, jeux vidéos, etc.) :

  

La question du XXIe siècle est celle de la révolution des modes d’existence humains, qui doivent devenir des modes de consommation en liquidant les savoir-vivre dans ce qui devient une économie industrielle de services dont les industries de programmes sont la base. C’est ce qui conduit à la destruction des milieux associés, c’est-à-dire des milieux symboliques, qui sont remplacés par des milieux dissociés, c’est-à-dire des milieux cybernétiques.

 

Pour le marketing, utilisant massivement les psychotechnologies des industries de programmes, il s’agit justement et littéralement de tenter de programmer nos désirs, de capter notre attention, c’est à dire aussi de « disposer » notre « cerveau », de le rendre « disponible », d’en « disposer », c’est-à-dire, au fond, de réduire notre subjectivité à son fonctionnement : et en vue de ce contrôle, le marketing trouve dans les « technologies de l’information et de la communication » de très puissants poisons, dans la mesure où celles-ci se révèlent fortement « psychotropes », s’inscrivant mieux que d’autres dans le flux même des consciences.

  

Mais d’autre part, dans son entreprise même, cette nouvelle logique capitaliste se heurte de plein fouet à ce que Bernard Stiegler appelle les « institutions de programmes », que sont en particulier l’institution familiale et l’institution scolaire. Ces institutions ont en effet pour fonction elles aussi de faire adopter des « programmes », des conduites, des savoir-faire et des savoirs aux nouvelles générations, et doivent pour cela « capter leur attention », et c’est pourquoi les familles et plus encore les enseignants se sentent souvent en rivalité directe avec les « programmes » télévisuels et plus généralement médiatiques. C’est pourquoi, inversement, les industries de programme, en particulier à travers la publicité, tendent à décrédibiliser l’autorité parentale ou professorale :

  

Les industries de programmes, en tant que bras armés de la télécratie, ont pour but de prendre le contrôle des programmes comportementaux qui régulent la vie des groupes sociaux, et donc d’en dessaisir le système éducatif, pour les adapter aux besoins immédiats du marché. Elles entrent ainsi nécessairement en lutte aussi bien avec les familles qu’avec les institutions de programmes (…).

 

Ce que les parents et les éducateurs (quand ils sont encore majeurs eux-mêmes) forment patiemment, lentement, dès le plus jeune âge, et en se passant le relais d’année en année sur la base de ce que la civilisation a accumulé de plus précieux, les industries audiovisuelles le défont systématiquement, quotidiennement, avec les techniques les plus brutales et les plus vulgaires tout en accusant les familles et le système éducatif de cet effondrement. C’est cette incurie qui constitue la cause première de l’extrême affaiblissement des établissements d’enseignement aussi bien que de la structure familiale.

  

Or il y a programme et programme, et c’est pour montrer qu’il y a tout de même de l’espoir - ou plutôt qu’il faut en avoir - que Bernard Stiegler développe une profonde analyse de l’école « de Jules Ferry », comme dispositif de formation de l’attention (rationnelle), et au-delà de la « majorité », fondé sur le livre. Il est en effet possible de faire adopter des programmes de telle manière que cette adoption soit aussi une véritable appropriation, par laquelle un sujet s’individue lui-même : pour Stiegler, l’individuation humaine passe toujours par l’appropriation d’un « fond pré-individuel » c’est-à-dire d’un héritage culturel qui constitue en cela comme un programme. Mais il y a aussi une manière de faire adopter des programmes à des individus qui consiste en et mène à leur dé-subjectivation ou dés-individuation : et pour B. Stiegler, les industries de programmes audiovisuels, telles qu’elles sont actuellement développées, tendent en effet à formater une « audience » - non à former un « public » -, et aboutissent à des « processus d’identification régressive » qui dégradent les sujets en « profils », « tranches » et « masses », les je – et le nous qu’ils composent ensemble - en on.

  

Après La Télécratie contre la démocratie, Stiegler revient donc dans ce livre sur la signification politique et philosophique qu’il accorde à l’institution scolaire telle qu’elle se met en place en France à la fin du XIXe siècle, sous l’égide de Jules Ferry : héritière des Lumières, elle est pour lui une institution de programmes dont la spécificité historique est qu’elle « vise à former une attention majeure », c’est-à-dire rationnelle, critique et citoyenne, à travers des disciplines constituées par et autour de  l’écriture :

  

L’école est ce qui forme l’attention, qui est toujours à la base de tout système de soin, mais ici [avec l’école de Jules Ferry], comme discipline rationnelle d’adoption instituée dans la psyché de l’élève en tant que savant (c’est-à-dire accédant rationnellement à un savoir) devant le public qui lit (et qui est d’abord la classe elle-même). Cette forme de l’adoption ainsi appelée la raison est une éducation à la fois comme transmission des circuits longs que constitue l’expérience humaine en totalité, et comme formation de nouveaux circuits longs, de personnalités autonomes, vouées à devenir majeures, et donc critiques, et tout d’abord auto-critiques : capables de lutter contre leur paresse et leur lâcheté natives, et toujours renaissantes, mais capables de renouveler le savoir dans cette lutte.

 

Autrement dit, l’école publique obligatoire de Jules Ferry, et l’infrastructure technique qui la supporte — l’industrie du livre — ont contribué à la formation d’un « public qui lit comme majorité », d’un public éclairé, et ce d’abord parce que ce dispositif scolaire a pour vertu de favoriser un certain type d’attention, rendu précisément possible par la pratique de la lecture et de l’écriture. Dans l’Antiquité grecque, déjà, le développement public de l’écriture alphabétique avait favorisé la constitution d’un nouveau type de savoir et d’un nouveau rapport au savoir – laïque, critique et rationnel -, dont les disciplines enseignées à l’école de Jules Ferry, et encore aujourd’hui, sont justement les lointaines héritières. Or, pour Bernard Stiegler, la pratique de l’écrit est en effet structurellement liée à ce qu’il appelle une « attention rationnelle ».

  

Le concept d’attention, très présent dans son travail depuis quelques années, est à prendre ici en plusieurs sens : Stiegler parle à la fois d’attention psychique et d’attention sociale, et fait entendre, parfois successivement, parfois simultanément, le sens perceptif ou cognitif (« être attentif ») et le sens pratique ou éthique (« faire attention », prendre soin). Nous nous concentrerons d’abord ici sur ce qu’il dit de l’attention au sens psychique, c’est-à-dire, grossièrement, la capacité d’un esprit à saisir – c’est à dire aussi à constituer - son objet.

  

Commentant notamment des travaux récents qui paraissent établir un lien de causalité entre l’attention deficit disorder dont souffrent un nombre croissant de jeunes américains et l’omniprésence autour d’eux depuis la toute première enfance de postes de télévision et autres instruments de stimulation auditive et visuelle, Bernard Stiegler commence par dresser un tableau inquiétant des conditions actuelles de développement du cerveau humain dans un milieu qui lui serait devenu particulièrement toxique : la synaptogenèse d’un très jeune enfant surexposé à ces sollicitations audio-visuelles aurait pour caractéristique de rendre plus difficile sa concentration profonde ou durable ultérieure, telle qu’elle sera notamment requise par l’école. Selon les termes employés par ces études, ce nouveau contexte rendrait plus incertaine la pratique future d’une deep attention (littéralement attention profonde) et favoriserait au contraire une hyper attention,  caractérisée par « les oscillations rapides entre différentes tâches, entre des flux d’information multiples, recherchant un niveau élevé de stimulation, et ayant une faible tolérance pour l’ennui (…) ».

 

Au delà de ce point de vue neurologique, Stiegler explique en quoi la réception des objets audiovisuels suscite et développe chez le sujet une toute autre attitude psychique que celle du livre. Une première différence tient au fait que l’opération de la lecture est commandée par le lecteur lui-même alors que celle de la perception audiovisuelle est asservie au temps de l’appareil mécanique de projection : il en découle que le temps de la lecture (et de l’écriture) est en droit un temps « libre » ou souverain, le temps de l’examen et de l'observation « à loisir », d’une certaine maîtrise attentionnelle de l’objet ; alors que le spectacle audiovisuel a d’abord pour effet de capter le temps de conscience du spectateur, et tendance à l’entraîner passivement dans son cours. A cette différence s’y articule une autre : savoir lire c’est nécessairement savoir aussi bien écrire, et réciproquement, alors que le spectateur audiovisuel est le plus souvent réduit à une position de consommateur non producteur. Or ce que Stiegler appelle « misère symbolique » tient notamment à cette dissociation entre des individus producteurs de symboles et la grande masse de ceux qui les reçoivent en ne pouvant que les consommer sans être capables d’en émettre à leur tour. Enfin, c’est le caractère singulier et singularisant de la transmission scolaire à travers l’écrit — et la médiation  décisive du « maître » — qui doit être opposé à la dimension massivement industrielle  et grégaire de la diffusion des programmes audiovisuels : ceux-ci ont la plupart du temps pour effet et même pour fonction de produire une « synchronisation » des consciences — de leur perceptions, de leur souvenirs, bref de leur expérience, qui devient ainsi plus proche d’un conditionnement —, là où l’on peut soutenir que l’enseignement scolaire et livresque, au contraire, tel que l’école de Jules Ferry en généralise le principe à l’ensemble de la société, vise en principe la formation d’individus singuliers, c’est à dire porteurs d’un rapport à chaque fois inédit au savoir dans son ensemble : ainsi, en droit et en fait, dans la plupart des cas et même lorsqu’elle est pratiquée en commun — comme dans une classe —, la lecture est une opération foncièrement individuelle, qui à la fois requiert et développe une attitude d’attention mono-centrée, appelée « concentration » ou encore « deep attention ».

 

Mais tout ceci n’est vrai qu’en termes de tendances. Ainsi le livre peut bien être — et a effectivement été parfois par le passé — le vecteur d’un dogme ou d’un « catéchisme » et l’instrument d’un conditionnement mental, mais il peut aussi bien et dans le même mouvement donner lieu à un rapport critique et libre, dans la mesure où un texte est par principe ouvert à l’infinité des interprétations, du fait de sa littéralité. De même, les objets audiovisuels, s’ils sont de fait et actuellement produits et utilisés avant tout en vue d’une captation synchronisée et massive du « temps de cerveau humain disponible », peuvent aussi être l’occasion d’une authentique formation de l’attention critique et du goût, comme en témoigne en particulier le cinéma lorsqu’il prétend à l’art :

 

Je ne veux évidemment pas dire qu’un objet temporel audiovisuel ne permet pas de créer une attention profonde. Je veux dire en revanche qu’en tant que pharmakon, il présente des caractéristiques qui sont aujourd’hui mises au service, dans le contexte des industries de programmes, d’un dispositif de captation de l’attention qui est essentiellement destructeur — tout comme l’hyper-sollicitation de l’attention qui engendre du déficit attentionnel —, alors même que, de toute évidence, le cinéma est un art, il sollicite et construit une deep attention, et il est en cela le remède de ce poison.

 

La question décisive est alors celle-ci : comment faire en sorte que le nouveau milieu technique dans lequel se développent désormais les cerveaux et les esprits des nouvelles générations ne leur soit pas « toxique » ? ou  encore : comment l’école, notamment, peut-elle poursuivre son ambition authentiquement formatrice tout en tenant compte du nouveau contexte des industries de programme dans lequel est d’emblée plongée la jeunesse contemporaine ?

  

Pour Stiegler, il s’agit là d’un enjeu proprement politique, et qui doit prendre la forme d’une certaine « thérapeutique », d’un prendre soin, dont l’un des premiers mouvements doit être pour les puissances publiques de contrôler l’industrie culturelle — comme l’on contrôle déjà par exemple l’industrie pharmaceutique — afin de limiter au minimum leurs effets toxiques et addictifs. Mais il s’agit aussi, parallèlement et plus activement, de « transformer le poison en remède », c’est-à-dire de développer les vertus formatrices de ces nouveaux produits spirituels, de favoriser leur appropriation critique — notamment au sein même de l’école —, afin qu’ils échappent à la fonction de conditionnement qui leur est assignée par les industries de programme : bref, de transformer ces « psychotechniques » de contrôle et « nootechniques » de formation sprituelle. Tout ceci devrait constituer l’armature de ce que Stiegler nomme une « psychopolitique » et qu’il définit ainsi :

  

La question n’est donc pas de rejeter les psychotechnologies, ni les industries culturelles : elle est de transformer les psychotechnologies en technologies de l’esprit, en nootechnologies ; elles de révolutionner ces industries, qui sont devenues l’infrastructure organologique de la bataille de l’intelligence, qui est elle-même une guerre économique, et dont elles sont l’arsenal — en les soumettant à des contraintes de régulation adaptées à cette situation, mais aussi en les dotant de secteurs de recherche et de développement, dont elles sont de nos jours totalement dépourvues (particulièrement en Europe et en France), et en soutenant ces secteurs par un programme cadre de recherche national et européen.

  

La finalité d’un tel programme devrait être de créer, entre le système éducatif que forment les familles, les écoles, les collèges, les lycées et les universités, d’une part, et d’autre part le système éditorial, dont les industries culturelles et de programmes sont devenues le principal secteur, un nouveau système de soin au service d’un modèle industriel repensé en fonction de cette priorité : la transformation organologique de l’intelligence individuelle et collective — dans et par un modèle industriel ayant dépassé l’époque du consommateur.


Et plus loin :

 

Questions environnementales, politique industrielle, politique éducative, règles encadrant les médias de masse, politique des nouveaux médias : tout cela constitue une seule et même question, et on peut l’appeler la bataille contemporaine de l’intelligence — une bataille incomparable au regard de toute l’histoire de l’humanité. Il s’agit ici non seulement d’écologie (de l’esprit et par voie de conséquence des environnements naturels où vivent et que transforment les êtres pharmacologiques que nous sommes), mais d’hygiène, c’est-à-dire de soin au sens le plus classique qui soit.

  

En tout cas, et pour en revenir plus précisément à l’éducation et à l’école, il me semble que les thèses de Bernard Stiegler fournissent le cadre général et fondamental permettant à la fois de comprendre ce que j’ai appelée plus haut le « malaise » de l’école, et de commencer à y répondre : ce cadre est d’abord celui d’une lutte, voire d’une guerre, entre industries de programmes et institutions de programmes, entre la logique à court terme, et en cela mortifère, du « temps de cerveau disponible » — et plus généralement du capitalisme « culturel » ou « cognitif », lui-même soumis au capitalisme financiarisé et spéculateur —, et la logique à long terme de la formation d’individus « majeurs » et responsables, telle que celle-ci fut portée par la plupart des formes historiques de l’école, et en particulier par l’école publique de Jules Ferry issue de l’esprit des Lumières.  

 

- Julien Gautier pour http://skhole.fr/

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